L'expression de l'année 2003

Il n'y a pas de souci !

< mardi 30 décembre 2003 >
Chronique

En ces derniers jours de 2003 où fleurissent les rétrospectives de tout poil ; où, partout ou presque, et sur des critères plus ou moins scientifiques, se voient consacrer le sportif, le « manage(u)r », l'homme politique de l'année ; où la télévision classe tout ce qui bouge et même ce qui ne bouge plus (les tubes de Johnny, les « chansons du siècle », les duos préférés des Français, etc.), au nom de quoi nous refuserions-nous, à notre tour, à élire l'expression de l'année ? N'est-il pas légitime après tout, du plus haut intérêt sociologique surtout, de repérer les mots qui viennent le plus spontanément aux lèvres de nos compatriotes ? De trouver un digne successeur aux « C'est pas évident ! », « à la limite » et « quelque part », lesquels firent, qui ne s'en souvient, les beaux jours de nos conversations d'hier ? Gardons-nous d'étirer, à la façon d'un Foucault, un « suspense » qui n'a plus de raison d'être depuis que notre titre a mangé le morceau : la tournure 2003, celle qui mériterait de monter sur la plus haute marche du podium des NRJ Linguistic Awards, n'est autre que... « Il n'y a pas de souci ! ». C'est en effet, invariablement, ce que vous répond la caissière — pardon, l'hôtesse de caisse — quand vous vous excusez auprès d'elle de ne pouvoir faire l'appoint ; le garçon à qui vous demandez s'il est possible de mélanger carte et menu ; le livreur qui s'entend préciser qu'il devra passer chez vous entre dix et onze s'il ne veut pas trouver porte close. C'est, très probablement, ce que vous aura répondu la Boutique des lecteurs de La Voix du Nord lorsque vous avez insisté pour que votre « Porteuro » vous parvînt avant Noël... L'expression est en passe, en tout cas, de jeter aux oubliettes le ringard « Pas de problème ! », par rapport auquel elle marque d'ailleurs un progrès qui n'aura échappé à personne : à cette époque bénie des dieux où tout, moyennant finance, conspire à votre bonheur, on ne se borne plus à vaincre les difficultés, on va jusqu'à chasser de votre esprit l'idée, ô combien saugrenue, qu'il pût en exister ! Voilà qui, il va sans dire, ne facilite guère la tâche du chroniqueur désireux de vous présenter pour la neuvième fois — comme le temps passe ! — ses vœux : que souhaiter, dès lors qu'il n'y a plus de souci ? Peut-être que la réalité se mette à tenir compte un peu plus de ce qu'ingénument feint d'exprimer la langue ?