Ostensible ou ostentatoire ?

Je montre... un peu... beaucoup...

< mardi 13 janvier 2004 >
Chronique

C'est le Canard enchaîné qui a vendu la mèche : en fait d'étrennes, Luc Ferry se serait vu offrir un savon par Jacques Chirac pour avoir, dans sa rédaction du projet de loi sur la laïcité, usé de l'adjectif ostentatoire. « Je connais le français aussi bien que vous ! » aurait rugi le chef de l'État, avant de sommer l'infortuné ministre de l'Éducation nationale de ravaler ses états d'âme sémantiques et de revenir au terme qu'il avait lui-même préconisé, à savoir ostensible. Si l'anecdote est exacte — ce dont a priori nous n'avons pas lieu de douter —, on ne saurait trop se réjouir que le choix du mot juste secoue ainsi les hautes sphères ! Luc Ferry se serait-il laissé mener en bateau par nos dictionnaires usuels, qui font descendre les deux termes du même verbe latin ostendere, « montrer » ? En réalité, si tel est bien le cas pour ostensible, la filiation est moins directe en ce qui concerne ostentatoire : le verbe souche est cette fois ostentare, lequel était le « fréquentatif » d'ostendere. Entendez par là qu'il avait vocation à traduire, par rapport au verbe simple, la répétition, la fréquence de l'action. Si, par conséquent, ce qui est ostensible, loin d'être caché, est effectivement destiné à être vu, l'ostentation va plus loin : elle suppose un étalage indiscret, voire tapageur. Il n'est plus seulement question de montrer, il s'agit désormais d'attirer, de provoquer le regard. Sur le papier, le Président se montre donc plus intraitable que son ministre : on n'attendra pas que le prosélytisme soit flagrant pour sévir. Cela promet d'ailleurs de simplifier la situation sur le terrain : nous ne voudrions pas être à la place de celui qui aurait à établir si le port d'un insigne religieux relève de l'ostensible ou de l'ostentatoire ! Où cessera le premier ? Où commencera le second ? Et qui fournira l'échelle appelée à mesurer le degré d'ostentation ? Il suffit bien que l'on ait cru devoir lier l'éventuelle sanction aux intentions du porteur, par définition sujettes à caution, et surtout à interprétation ! N'eût-il pas été préférable, comme l'ont suggéré d'aucuns, d'utiliser l'adjectif visible ? Linguistiquement et juridiquement parlant, les choses eussent sans doute été plus claires. Mais politiquement ? Outre que le ton s'en fût trouvé durci, ne se lie-t-on pas les mains à employer un mot trop précis ? Et que serait une loi que l'on ne se réserverait pas d'interpréter au coup par coup ? En politique, tout le monde vous le dira, mieux vaut souvent lever un coin du voile que de l'arracher...