Pourquoi les enseignants veulent désormais... faire court

Comme leur nom l'indique !

< mardi 3 juin 2003 >
Chronique

Et si, au-delà du budget, des retraites, de la décentralisation, les causes profondes du malaise des enseignants étaient inscrites dans le vocabulaire ? Ce ne serait pas la première fois que le langage apparaîtrait comme le plus impitoyable des révélateurs ! Tous ces gens qui arpentent le bitume tenaient hier le haut du pavé. Ils étaient, au choix, des maîtres ou des professeurs. Deux termes qui soulignent l'estime qu'ils inspiraient. Le magister qui engendra notre maître valait bien plus (magis) qu'un ministre, alors enfant de minus par le latin minister. Quant au professeur, il était pour l'étymologie celui « qui se déclarait expert dans un art ou une science » : l'élément pro, « devant », trahissait la confiance qui l'habitait. Le premier est tombé en désuétude, victime d'une société pour laquelle il ne saurait y avoir de maître sans esclave. Le second ne doit sa survie qu'à son abréviation, forcément dévalorisante, en prof. A contribué, soit dit en passant, à en faire le lit notre incapacité récurrente à forger un féminin pour un métier qui se féminisait, lui, de plus en plus : voilà qui nous évitait déjà de choisir entre professeure et professeuse ! C'est donc l'œcuménique enseignant qui a pris le relais, et on ne dira jamais assez le tort que ce participe substantivé — qui réduit l'homme à sa seule fonction, celle-ci comptât-elle parmi les plus nobles — aura causé à son image. Arraché à sa chaire d'antan, le voilà, au moins pour la grammaire, mis sur le même plan que l'apprenant (le mot élève est devenu quasi tabou dans le petit monde des sciences de l'éducation : supposer que l'enfant ait besoin d'être élevé, c'est évidemment attenter à sa dignité). Mais tout cela n'est rien à côté de ce qu'endure l'intéressé intra-muros : ne s'y est-il pas totalement dissous, perdant au passage ce qu'il lui restait d'individualité, dans la trop fameuse équipe pédagogique, dont il n'est plus que membre ? Quand ce n'est pas rouage ou maillon faible... Cela dit, le pire est peut-être à venir pour une école que l'on traite de plus en plus ouvertement en garderie. Il suffit de prêter l'oreille à ces quelques parents d'élèves (pardon à nos pédagogues, ces « géniteurs d'apprenants  ») qui, à l'envi, s'épanchent au micro volontiers complaisant des médias. S'indignent-ils du « manque à gagner culturel » qu'entraînent ces grèves à répétition ? Quelquefois. Mais bien plus souvent des mille et une difficultés qu'elles leur valent pour faire garder leurs enfants. Les « enseignants » ne sont-ils pas déjà devenus, sans que l'on s'en soit avisé, de simples « accueillants » ?