En grammaire comme chez les Miss...

Honni soit qui mâle y pense !

< mardi 8 mai 2001 >
Chronique

Se trouvera-t-il encore quelqu'un pour en douter ? Bernard Pivot a eu le nez creux quand, soucieux de promouvoir ses Dicos d'or, il a abandonné le créneau de la mi-décembre à la sémillante Geneviève de Fontenay. En vieux renard des plateaux, n'avait-il pas senti qu'en termes d'audience la morphologie grammaticale ne pèserait pas lourd en face de celle, autrement affriolante, de nos vénus en bikini ? Que, quelque pittoresque qu'elle parût aux non-initiés, l'orthographe des soutiens-gorge(s), des porte-jarretelles et des sauts-de-lit ne tiendrait pas un quart d'heure devant les originaux ? Il n'est que de voir quel tollé a récemment provoqué cette rumeur, généreusement colportée sur l'Internet, selon laquelle Élodie Gossuin, notre Miss France 2001, serait en réalité un homme... Certes, l'émoi peut ici s'expliquer par la franche incongruité de la révélation : si ficelle que, par tradition, l'on sache la Picarde, il faudrait que celle-ci le fût singulièrement pour avoir ainsi abusé tout son monde, à commencer par l'œil d'aigle de son mentor à galure ! Il n'empêche : on se surprend à regretter que, dans le domaine lexical, les mêmes causes n'entraînent pas, il s'en faut, les mêmes effets. C'est chaque jour, en effet, qu'en toute impunité le féminin se mue sur nos lèvres en masculin. Que l'urticaire et l'acné se dopent aux hormones mâles, au risque de donner des boutons aux puristes ; que l'enclume, sans se frapper outre mesure, se forge un nouvel état civil ; que la moustiquaire se fait piquer sa féminité ; que l'algèbre délaisse le x2 pour le xy ; que l'anagramme mélange les genres au moins autant que les lettres ; que les aspirines se trouvent plus de cachet quand elles sont prises... un par un ; que le féminin écritoire perd régulièrement ses plumes alors que, dans le même temps, un épître passe comme une lettre à la poste. À la longue, d'ailleurs, ces transsexuels, à l'instar de leurs homologues de chair et d'os au sein de notre société, acquièrent droit de cité dans les dictionnaires. On peut aujourd'hui parler d'un interview sans se poser de questions (merci Larousse !), du réglisse sans craindre de retour de bâton (merci Robert !), d'un enzyme sans se faire lessiver (merci Ariel !). Alors un homme pour Miss France, pourquoi pas ? Pour une fois que la grammaire aurait montré la voie...