Langue de bœuf et langue tout court
Le rêve passe...
C'était à prévoir : à entendre ce qui se dit, à longueur de journée, sur la guerre du bœuf et à lire, à raison de quelques pages chaque soir, le terrifiant mais beau livre de Claude Duneton, La Mort du français (Plon), nous devions bien finir par tout mélanger. Cette nuit, nous avons même fait un rêve. Saugrenu, comme tous les rêves. Figurez-vous que des Français, subitement dégrisés de leur anglomanie suicidaire, s'étaient massés aux abords du tunnel afin de contrôler — et au besoin de refouler — vocables et tournures qui s'introduisent, de moins en moins clandestinement, dans notre langue, mettant en péril la production nationale. C'est ainsi que, par exemple, l'on envoyait... balader le walkman ; que l'on conseillait au crash de s'écraser ; et que l'on priait l'opportunité de repasser à l'occasion... Les pouvoirs publics (nous rêvons toujours) semblaient eux-mêmes prendre conscience du danger et comprendre enfin que la cause des langues régionales, si légitime qu'elle parût, ne saurait prévaloir contre la nécessaire défense de notre patrimoine linguistique commun. Certes, quelques débordements, comme toujours en pareil cas, étaient à déplorer et l'on vit même (à moins que nous ne prissions ici nos désirs pour des rêves) une poignée d'excités brûler symboliquement des citrouilles. Mais peut-on en vouloir à ces ignorants de penser qu'Halloween doit plus au commerce et à l'américanisation galopante qu'à cette coutume celte que l'on vient à point nommé de sortir des oubliettes ? C'est alors que nous nous sommes réveillé. Dans une France qui déclare, par la bouche de l'un de ses ministres, ne plus voir dans l'anglais une langue étrangère. Où l'A.F.P. (Agence France Presse, c'est du moins ce que signifiait le sigle jusqu'ici) légende ses photos en anglais. Dont les Jeanne d'Arc, rendues à la vie par les seuls capitaux français, s'expriment d'abord dans la langue de ceux qu'hier on voulait bouter hors de France. Étrange, cette sensation de gueule de bois. Vivement ce soir qu'on se couche ! Qui sait ? Peut-être reprendrons-nous notre rêve là où nous l'avons laissé...