Un jeu qui court littéralement les rues
À la poursuite du trivial
« L'homme est né pour jouer, c'est le péché originel qui l'a condamné au travail... » La boutade est connue et prend tout son sens au cours de la période estivale, traditionnellement propice aux jeux de société. Au premier rang d'entre eux, le célèbre Trivial pursuit, dont le titre ne constitue pas, il s'en faut, l'énigme la plus facile à résoudre... Tout porte à croire, en effet, que les inventeurs de ce divertissement — deux journalistes canadiens — ont voulu jouer sur le mot pursuit, lequel, en anglais, signifie aussi bien « passe-temps » que « poursuite ». Mais plus intéressant encore nous semble le cas de l'adjectif trivial. En français, on le sait, le mot a pris un sens nettement péjoratif, au point que l'on en fait un synonyme de « grossier, inconvenant ». Une nuance dépréciative que ne cautionne pas à proprement parler l'étymologie, puisque le trivium latin n'était rien d'autre, à l'origine, qu'un carrefour à trois voies ! On n'en devine pas moins ce qui a pu justifier pareille... déviation de sens : ce qui se trouve à l'intersection de trois rues est trop accessible pour revêtir un réel intérêt. La langue scientifique d'aujourd'hui ne qualifie-t-elle pas de triviale une démonstration qui relève de l'évidence, et qui serait à la portée du premier venu ? De « familier, connu de tous », on est ainsi passé à « plat, rebattu », puis, au XIXe siècle, à « bas, choquant ». L'adjectif vulgaire a du reste subi un glissement de sens tout à fait comparable (et tout aussi suspect d'élitisme), alors qu'il ne faisait que désigner initialement — le dérivé vulgarisation en témoigne — ce qui était « propre à la foule ». Entre autres intérêts, le Trivial pursuit présente donc celui de nous ramener au sens premier du mot, quelque traduction que l'on retienne pour pursuit : il s'agira soit d'un « passe-temps ordinaire », soit (c'est la thèse la plus répandue de ce côté-ci de la Manche) d'un « parcours que l'on effectue (pursuit) en répondant à des questions simples, banales (trivial) ». Voilà qui, convenons-en, ne remontera pas le moral de ceux qui sèchent lamentablement sur lesdites questions simples !