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XI

Jour de fête

Illustration par Bernard Verquère
Le jour de la délivrance,
les valises sont bouclées très tôt.
Bernard Verquère

L’heure des bilans a sonné. Celui de la facture, tout d’abord : incontestablement plus salée que vos repas. Inutile de préciser que les défaillances répétées du téléviseur ne figurent pas au chapitre des réductions et que chacune de vos communications téléphoniques a été relevée avec un zèle que ne laissait pas supposer le désordre constaté par ailleurs.

Celui de l’état de santé de votre mari, ensuite ; un amaigrissement de sept kilos, une plaie suppurante de treize centimètres, un avant-bras que les perfusions successives ont rendu, pour un temps, inutilisable, une tension définitivement compromise et « pincée », une colonne vertébrale en capilotade et un moral au trente-sixième dessous. C’est un peu cher payé, d’autant que, pour la première fois, Monsieur se plaint de douleurs au niveau d’une vésicule qui n’existe plus ! Mais gardons-nous bien d’en informer qui de droit : la perspective de passer quelques jours de plus dans cet enfer est bien plus épouvantable que la crainte de passer à côté d’une complication !

Seule occasion de jubiler pour votre malade : au prix d’efforts incessants et de mensonges éhontés (n’a-t-il pas prétendu que sa fille aînée — imaginaire — devait s’embarquer, le jour même, pour la Haute-Volta ?), il est parvenu à avancer son départ de vingt-quatre heures...

Le jour de la délivrance, les valises sont bouclées très tôt : pour la première fois, les infirmières n’ont pas réussi à vous réveiller. L’heure de la sortie n’est prévue qu’à 14 heures mais dès 9 heures, votre mari ne tient plus en place, s’agitant sur son lit de douleur comme s’il s’agissait d’un tremplin. À tout moment, il se précipite à la fenêtre, croyant entendre le bruit du moteur qui l’emportera loin de ce lieu de cauchemar(1). Mais non. Encore cinq longues heures à passer en se représentant de mémoire le jardinet, le poisson rouge et le bifteck frites que l’on se promet de déguster dès son retour. Le temps de prendre congé des infirmières qui, bizarrement, se montrent beaucoup plus aimables que lors de votre arrivée ; comme l’imminence du départ vous rend magnanime, vous trouvez presque normaux les pourboires que distribue généreusement votre époux, par nature peu rancunier.

En tout état de cause, votre sortie ne fera pas qu’un heureux : elle comblera d’aise le petit vieux qui, sa pipe et ses tripes à la main, campait dans le couloir depuis quarante-huit heures...

Et c’est enfin le retour triomphal au bercail. Pour vos proches, la joie de vous accueillir à votre arrivée. Pour votre mari, un nouveau départ et l’attente d’un repas plus substantiel.

Pour vous, le moment délicat qui consistera à annoncer (avec précaution) que le médecin vous a discrètement suggéré un léger régime de soutien.

Pour deux ans...

 

(1) Comme vous ne serez pas trop de deux pour escorter votre héros, vous avez préféré confier à votre beau-frère l’opération « rapatriement ».

 
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