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XII

Épilogue

Illustration par Bernard Verquère
Le jardinet a profité sournoisement
de votre absence.
Bernard Verquère

Les semaines ont passé. L’enthousiasme évoqué plus haut n’a pas résisté très longtemps à l’épreuve des faits. Dès son retour, Monsieur a pu mesurer tout ce qui séparait ses visions enchanteresses de la — dure ! — réalité : le poisson rouge, victime d’une boulimie à laquelle les enfants ne sont probablement pas étrangers, a rendu l’âme ; le jardinet qui peuplait ses rêves a profité sournoisement de votre absence pour cultiver son coupable penchant pour la production des mauvaises herbes ; les photos du vestibule se sont fait rapidement voler la vedette par les factures de toutes sortes qui, insensibles à ce que votre cas pouvait présenter de particulier, attendaient patiemment votre retour sur la commode du salon. Quant à la cuisine, elle n’a pas fait longtemps illusion : les contraintes du régime ont eu tôt fait de ramener les choses à leurs proportions véritables et votre mari de rappeler que, somme toute, vous n’aviez toujours rien d’un cordon-bleu. Ce jour-là, on put dire qu’une page avait été définitivement tournée...

Les autres n’allaient pas tarder à lui emboîter le pas : avec la rentrée des classes et la reprise du travail, l’existence retrouva son caractère routinier et les mauvais moments passés à la clinique furent bien vite remisés dans le placard aux accessoires.

Mieux : au fur et à mesure que votre rescapé voit s’amonceler les mille et un petits tracas de la vie de tous les jours (au premier rang desquels figurent incontestablement les prouesses scolaires de votre petit dernier), le séjour naguère abhorré se pare peu à peu de vertus qu’on ne lui aurait pas, de prime abord, soupçonnées. Cédant à une « toilette des souvenirs » qui n’a rien que de très classique(1), les pires choses trouvent presque grâce dans l’esprit, devenu plus conciliant, de votre mari : le lit étroit et grinçant, responsable de tant de nuits de veille, ne lui apparaît plus si terrible depuis qu’il doit quitter le sien, chaque matin à 6 h 30, pour se rendre au bureau ; ces interminables journées, faites de lassitude et d’ennui, au cours desquelles il n’éprouvait seulement pas l’envie de parcourir les revues que vous lui aviez apportées, comme il se ferait fort de les meubler à présent, alors qu’il n’a plus même le temps de jeter un coup d’œil sur les gros titres de son journal ! Jusqu’aux infirmières qui, de sinistres geôlières qu’elles étaient, deviennent, sans qu’il y paraisse, des anges de patience et de douceur...

Le temps n’est plus très loin où, rencontrant un collègue sur le point de subir une opération quelconque, il affirmera à son tour avec superbe : « Ne t’en fais donc pas comme ça, mon vieux : tu vas pouvoir t’offrir trois semaines de repos, couvé par les infirmières ! De toute façon, aujourd’hui, on ne sent plus rien... »

Quant à vous, comme les élancements discrets que vous ressentez depuis peu dans la fosse iliaque vous laissent quelque espérance, vous vous surprenez à rêver au jour béni où votre appendice, furieux de constater qu’il ne sert plus à grand-chose, se rappellera enfin à votre bon souvenir. Quelle aubaine ce serait, cette intervention bénigne qui vous permettrait de récupérer à votre tour et de prouver au passage à votre ingrat de mari que la situation de garde-malade n’est pas forcément la plus enviable !

 

(1) Ce phénomène est, en effet, particulièrement fréquent : en entendant des quinquagénaires échanger des souvenirs de régiment, ne vous est-il pas apparu plus d’une fois que cette période, en dépit de l’antimilitarisme outrancier qu’ils affichent, pouvait passer pour la plus heureuse de leur existence ?

 
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