À la fortune du mot

< mardi 11 mars 1997 >
Vocabulaire

Quand il serait à l'origine de barbarismes tels que « pécunier » et « rénumérer », l'argent n'en reste pas moins le nerf de la guerre, comme l'atteste une débauche de locutions. Nous en avons retenu trois, eu égard à leur... riche passé !

L'argent n'a pas d'odeur. Si les dictionnaires ne tarissent pas de précisions sur le sens du proverbe, ils restent plus discrets sur sa genèse. Il semble qu'il faille remonter à l'empereur romain Vespasien, qui, pour renflouer l'État, avait cru bon d'instituer une taxe sur les urines dont se servaient teinturiers et tanneurs. À son fils, qui s'en offusquait, il aurait mis sous le nez un sesterce qui provenait de cet impôt, afin de lui prouver qu'il ne sentait pas l'urine !

Espèces sonnantes et trébuchantes. La fausse monnaie abondant jadis, il était d'usage de faire sonner la pièce sur la table, afin de s'assurer de la qualité de l'alliage. Quant au trébuchant (le trébuchet était une balance de précision), il désignait le léger excédent de poids dont on gratifiait les pièces lors de leur mise en circulation, pour compenser par avance leur usure. Une espèce trébuchante n'était donc rien d'autre qu'une pièce récente, voire neuve...

À l'œil. Si le seul sens encore vivace est celui d'une gratuité que l'on accorde sur la foi de l'apparence et des beaux yeux, la locution a longtemps signifié « à crédit ». Peut-être, risque Claude Duneton dans La Puce à l'oreille, parce que les marchands avaient pour habitude, jusqu'au siècle dernier, d'indiquer le montant des achats à l'aide d'une encoche sur un bâtonnet : l'entaille qui en résultait pouvait en effet figurer un œil, d'autant que c'est aussi le nom que l'on donne à la naissance du bourgeon sur la branche...