La place de l'oxymore

< mardi 15 janvier 2002 >
Complément

Dans l'une des questions qui précédaient sa dictée du 13 janvier, Bernard Pivot a, par le biais de la célèbre expression « se hâter avec lenteur », fait la part belle à l'oxymoron, cette figure de style — encore appelée oxymore ou alliance de mots — qui consiste, affirment doctement les linguistes, à « combiner en un syntagme unique deux termes antithétiques n'appartenant pas à la même catégorie morpho-syntaxique ». Pour parler de façon moins précise mais plus simple, à rapprocher deux mots que le sens, traditionnellement, oppose. L'animateur de feu Bouillon de culture aurait tout aussi bien pu poser les yeux sur l'actualité et en exhumer par exemple ce « taliban modéré », dernier avatar du mouton à cinq pattes que l'on voyait volontiers, il y a peu, jouer un rôle dans le nouveau gouvernement de l'Afghanistan. Il serait trop facile de démontrer ici que l'oxymore, hier chéri des poètes à la recherche d'effets (qui ne se souvient de la fuite hautaine de Du Bellay, de l'obscure clarté de Corneille, du soleil noir de Nerval ?), est appelé à une brillante carrière politique dès lors que notre monde moderne se montre de plus en plus avide de consensus et de compromis. Le concept ô combien inédit — et un tantinet fumeux, il faut bien l'avouer — d'indépendance dans l'interdépendance avait, en d'autres temps, on s'en souvient, ouvert la voie. Il n'est pas exclu que ce soit sur cette même voie qu'ait voulu s'engager Bernard Pivot ce dimanche, qui distribua à tour de bras, et sans paraître relever ce que ses formules devaient audit oxymore, « Dicos d'or de bronze » et « Dicos d'or d'argent » ! Mais gageons qu'il s'agissait plus ou moins consciemment de consoler des candidats qui avaient manqué de très peu la consécration...