Pour pouvoir revisiter,
prendre bien garde au...
sens de la visite !
Autant le dire tout de suite, l’auteur de ces lignes n’est pas par principe hostile aux extensions de sens. Il verrait plutôt là le signe que la langue sait se réinventer, sortir des sentiers battus, en un mot évoluer.
Ainsi, quand il serait de ceux que les paroles parfois sanguinaires de notre Marseillaise n’émeuvent pas outre mesure (c’est là le prix qu’un hymne doit payer à l’histoire), il n’a pas été non plus importuné par l’orchestration apaisée qui en a été proposée lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques. Que le chant de Rouget de Lisle ait été pour la circonstance « revisité » par l’Orchestre Divertimento l’a même laissé de marbre, sur le plan linguistique s’entend. Il faut dire que cette acception figurée du verbe a reçu l’aval de l’Académie, laquelle la définit dans la dernière édition de son Dictionnaire comme suit : « Présenter un ouvrage de l’esprit sous un éclairage nouveau, en donner une nouvelle interprétation, une nouvelle version. » Et nos immortels d’illustrer leurs dires par un exemple qui démontre que la chose ne date pas d’hier : « La comédie musicale West Side Story revisite le drame de Roméo et Juliette. »
Pour autant, n’allons pas jeter le bébé de la logique avec l’eau du bain de jouvence ! Un lecteur attentif (pléonasme !) de cette chronique n’a-t-il pas entendu évoquer, sur France Musique, la Symphonie no 40 de Mozart « dans une version augmentée, revisitée » ? Ce bon Descartes a dû se retourner dans sa tombe ! Il en sera d’ailleurs carrément sorti en lisant, sur le site de la RTBF, que, le soir de la cérémonie d’ouverture cette fois, Axelle Saint-Cirel, la mezzo-soprano française, a interprété « une version revisitée de la Marseillaise ». La seule chose à pouvoir être revisitée, n’est-ce pas l’original ? Veillons donc à réserver notre verbe à la Marseillaise ou à la Quarantième de Mozart plutôt qu’à leurs avatars !
Votre serviteur surprendra-t-il ses ouailles en leur avouant que ce qui « passe crème » (comme on dit sur les plateaux branchés de l’information continue) pour le verbe lui vaut en revanche quelques fausses routes dès lors que l’on s’aventure sur le terrain du substantif. Les dictionnaires doivent avoir le même œsophage que lui : ils n’ont pas, jusqu’à ce jour, entériné cette « revisite » qui fleurit comme chiendent sur la Toile (ici une « revisite sombre (…) de Blanche-Neige », là une « revisite de l’omelette baveuse aux champignons »…). Pourvu que ça dure !