S'autorise-t-on vraiment n'importe quoi
quand on « se permet » ?

< dimanche 28 avril 2024 >
Chronique

Un lecteur assidu nous interroge sur l’utilisation du tour « je me permets de » en lieu et place du plus consensuel « permettez-moi de ». N’y aurait-il pas là quelque chose de déplacé, voire d’outrecuidant ?

Nous risquerons-nous à répondre que cela ne nous empêche pas de dormir ? Pas plus, en tout cas, que cet autre tour, trop souvent voué au pilori, qui consiste à « s’excuser ». Nous avons déjà eu l’occasion, dans ces colonnes, de tempérer les ardeurs vindicatives des nombreux censeurs qui y voient une forme d’autoabsolution. Il n’en est rien, « se » étant moins, en l’occurrence, un COD (« on n’excuse pas soi », contrairement à ce que pense plus d’un), qu’un pronom incorporé au verbe, sans fonction grammaticale précise. Pas plus qu’on ne s’empoigne quand on se saisit d’un balai, on ne se blanchit quand on s’excuse ! Ce que résume parfaitement le grammairien Joseph Hanse, à l’unisson de tous ses confrères : « On présente ses excuses ou on s’excuse : le sens est le même depuis longtemps. » C’est pour éviter de froisser l’interlocuteur qui ne serait pas au courant que l’on s’obstine à ne point franchir un pas… franchi par les dictionnaires il y a près de trois siècles et demi !

On aura deviné que ce « je me permets » n’est pas pour nous effrayer davantage. Certes, beaucoup vous expliqueront que c’est là s’autoriser ce qui ne vous a pas été accordé, ne point attendre que l’on vous ait donné la permission de faire pour le faire. Mais n’est-ce pas là, cette fois encore, privilégier une interprétation par trop littérale de l’expression ? Affirmer que l’on se permet quelque chose (outre que faute avouée est à demi pardonnée), c’est confesser que l’on ne manque pas d’audace en le faisant. Mais, à y bien regarder, n’est-ce pas reconnaître du même coup son infériorité vis-à-vis de la personne à laquelle on s’adresse ? Cela ressortit à la formule de politesse !

De surcroît, est-on sûr que les variantes portées au pinacle soient de beaucoup préférables ? L’impératif (excusez-moi, veuillez m’excuser, permettez-moi), mode de l’ordre, peut tout autant choquer par son côté contraignant. Quant au tour interrogatif (puis-je me permettre ?), ne pèse-t-il pas son poids d’hypocrisie, dans la mesure où nous n’attendons jamais sa réponse pour livrer à l’interlocuteur le fond de notre pensée ?

Reste évidemment le « je vous prie de ». Mais est-ce faire preuve d’un laxisme éhonté que d’objecter qu’à l’époque du tutoiement, du doigt d’honneur et du « nique ta race », celui-là a un poil vieilli ?