Nous viendrait-il à l'idée
de faire un mâle d'une mouche ?
Peut-être avez-vous entendu parler de l’arrivée d’un rhinocéros blanc de trois ans au parc zoologique de Paris, dans le cadre d’un programme d’élevage européen visant à assurer la reproduction de cette espèce en danger.
« Une rhinocéros, car c’est une femelle », s’est repris à la radio un journaliste en mal de précision. Au mépris de la grammaire puisque ledit terme est uniquement masculin. Mais, pour se souvenir de la boîte de Pandore, chacun pouvait s’attendre que la féminisation des titres et noms de métiers, cause respectable s’il en fut (assurer à la gent féminine plus de visibilité dans notre lexique et témoigner de son ascension sociale) entraînerait des dommages collatéraux. Élisabeth Borne n’a-t-elle pas été considérée en son temps comme la fusible d’Emmanuel Macron ? À terme, n’importe quel mot — pour peu que, métaphoriquement, il renvoie à une femme — risque fort de devenir transgenre…
Qui peut le plus pouvant le moins, il ne faudra pas s’étonner si la contestation gagne le zoo, un univers à l’évidence plus rompu à la distinction entre mâles et femelles que celui du circuit électrique (prises exceptées) ! On aura tôt fait de déplorer, n’en doutons pas, que, quand le chien a sa chienne, le taureau sa vache et le bouc sa chèvre, les compagnes (pourtant de poids !) du rhinocéros, de l’hippopotame et du crocodile n'aient pour leur part pas voix au chapitre. Comment diable leur refuser, sauf à passer pour d’affreux spécistes, ce que l’Académie, pourtant peu suspecte de féminisme échevelé, a fini par accorder aux filles d’Ève ? On s’est vu convaincre de maltraitance animale pour moins que ça…
Si l’on veut que notre langue se purge de cette réputation de machisme qui lui colle à la peau comme le sparadrap à la main d’Haddock, il serait grand temps que nos immortels réfléchissent à la façon la plus opportune de donner une chacune à chacun : soit en attribuant les deux genres aux vocables à rime féminine (cygne, dromadaire, gorille, sur le modèle du ministre d’hier), soit en inventant au coup par coup une terminaison spécifique qui va bien (pas sûr que ce soit le cas de « rhinocérosse » !).
Il faut pourtant espérer que la réciproque vaudra pour les mâles infortunés qui, dans une langue censée avoir été taillée pour eux, ne vivent, eux aussi, que par moitiés interposées. Sied-il de souhaiter que l’on parle prochainement d’un autruche, d’un souris ou d’un mouche ? La plus élémentaire justice l’exigerait !