Une langue sexiste, non !
mais une langue asexuée
ne vaudrait guère mieux...

< dimanche 11 février 2024 >
Chronique

Il est des jours où le plus invétéré des machos se surprendrait presque à devenir féministe : ceux — de plus en plus nombreux, hélas ! — où notre langue consent délibérément à se faire un peu moins femme.

On s’est depuis longtemps habitué, sinon résigné, à ce que le participe passé conjugué avec avoir n’honorât plus du moindre regard le complément d’objet direct du beau sexe qui marche devant lui. C’est un présentateur du vingt heures — prompt à partir en « live » au premier direct — qui gratifie la chanteuse du moment d’un « On vous a découvert en groupe ». Ou encore le directeur d’un magazine dont les mots pèsent et les photos choquent qui suppose que cette vidéo où un Malien crie sa haine des Français, « personne ne l’a vu, pas même ceux qui l’ont mis en ligne » (si le doute est heureusement permis pour le premier participe, il ne l’est plus pour le second, la liaison qui aurait pu sauver les meubles n’étant pas faite).

Encore une fois, ce genre de négligence ne date pas d’hier, à l’oral surtout : la distraction, la paresse et la réforme n’y poussent que trop. Le fait nouveau, c’est que l’auxiliaire être n’est plus à l’abri de la contagion. C’est un animateur des plus pros qui annonce qu’Élisabeth Borne n’a pas été reconduit à la tête du gouvernement. C’est la caisse automatique d’une grande surface (les machines elles-mêmes s’y mettent !) qui, avant que vous ne payiez, et pour savoir s’il vous faut un ticket, vous balance de sa voix moyennement suave un « Informations requis » qui vous vrille le tympan.

Serions-nous devenus bêtes au point de ne plus savoir accorder un mot avec un autre ? Rien ne ressemblant plus à un participe passé qu’un adjectif (celui-là tenant d’ailleurs souvent lieu de celui-ci), grand est le risque que, d’ici peu, nos compagnes soient trouvés beaux, sans que cela fasse sourciller le moins du monde. Accompli sera alors notre rêve fou d’une langue largement asexuée, comme a toujours su l’être celle, ô combien puritaine, de Shakespeare. Par-delà les emprunts régulièrement dénoncés avec véhémence, le principal danger de l’anglicisation, au fond, ne résiderait-il pas là ?

S’il peut paraître opportun de rappeler avec Coubertin, à quelques mois de possibles déconvenues, que l’essentiel est de participer, n’importe-t-il pas surtout, si nous voulons que nos mots continuent à s’accoupler dans la phrase, d’accorder de nouveau nos participes ?