« Inentendable » :
pour le moins inattendu,
mais non moins entendu !
Saisi au vol le soir du 26 janvier aux « Informés » de France Info, où l’on applaudissait à la venue sur place du Premier ministre : « Des annonces faites à Paris, sur le perron de Matignon, ç’aurait été inentendable ! »
Le premier réflexe de votre serviteur, alors au volant, aura été de s’y accrocher pour éviter l’embardée : écouter la radio en conduisant devrait être interdit, au même titre que l’usage du portable, du moins à quiconque se pique de respecter la langue. Le second, de se demander ce qu’avait bien pu faire au monde d’aujourd’hui le malheureux inaudible, pourtant bien en cour depuis trois siècles, pour se voir ainsi blackbouler de notre lexique ! Le troisième, de se garder de toute indignation prématurée, histoire de ne point passer pour le vieux jeton de service, par essence rebelle à toute évolution.
D’autant qu’un chroniqueur de langue, qui laisse derrière lui force documents compromettants, se doit, s’il veut rester crédible, de faire preuve de cohérence : celui que vous lisez ici chaque dimanche n’a-t-il pas, naguère, défendu l’inatteignable contre l’inaccessible que lui préférait un lecteur, lequel disait probablement tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas ? Il ne le regrette d’ailleurs pas puisque, depuis lors, l’Académie lui a ouvert les colonnes de son Dictionnaire. Preuve qu’il y avait bien là une possible nuance de sens, qu’il sied par principe de ne jamais mépriser en ces jours d’à-peu-près généralisé… Au demeurant, les exemples ne manquent pas, dans la langue, de doublets qui ont pignon sur rue : potable et buvable, croyable et le crédible susdit, etc. !
On ne sache pas que ce soit le cas ici, la lourdeur d’inentendable n’étant apparemment compensée par aucun bénéfice sémantique. S’il fait son trou dans une sphère médiatique sans doute influencée par l’emploi démagogique et un brin condescendant du « J’entends ce que vous dites » (préalable obligé à une fin de non-recevoir en bonne et due forme), il est toujours tenu pour un pur barbarisme par l’Académie, le Trésor de la langue française et nos dictionnaires usuels, à l’exception bien sûr de ceux de la Toile et du Scrabble. Mais, en la matière, il est des cautions dont on rougirait presque…
Reste donc à souhaiter à cet inentendable le même sort que cet « inentendu » du XVIIIe siècle, très vite renvoyé à ses chères études par un inouï qui, lui, n’est visiblement pas près de… dérailler !