Les boulangers ont-ils encore
du pain sur la planche ?
Tout dépend du sens que l'on entend donner à cette expression, laquelle ne veut plus dire aujourd'hui ce qu'elle disait à l'origine, pour peu qu'elle ne signifie pas exactement le contraire ! On vous explique…
De nos jours, on a « du pain sur la planche » quand on a beaucoup à faire. C'est toujours le cas de nos boulangers, qui ne manquent nullement de travail. Ils en auraient même plus qu'il n'en faut ! S'ils se plaignent néanmoins, c'est que cette activité de tous les instants ne suffit plus à compenser la flambée des prix des matières premières et de l'électricité. Bref, si, au sens moderne de l'expression, il leur reste bien du pain sur la planche, ce n'est pas ça qui leur permettra de gagner leur croûte…
Mais le pétrin est tout autre si l'on se réfère à la signification originelle de ce tour. À la fin du XIXe siècle, celui qui avait du pain sur la planche avait surtout… de quoi voir venir. Pas au point, évidemment, de « vivre de ses rentes », mais ce n'en était pas moins suffisant pour envisager l'avenir avec sérénité ! En effet, les paysans d'alors, antithèses vivantes de la cigale dépeinte par ce bon La Fontaine, n'aimaient rien tant que constituer des réserves en vue des jours difficiles. Ils n'hésitaient pas, pour ce faire, à préparer des pains qu'ils conservaient sur une planche de bois fixée au plafond. Plus grand-chose à voir, dans ce cas, avec nos commerçants actuels, lesquels vivent plutôt au jour le jour, dans l'angoisse des fins de mois à venir.
On le constate une fois de plus : souvent langue varie, bien fol est qui s'y fie ! Qui, aujourd'hui, ne se vanterait étourdiment d'avoir « tiré les marrons du feu »… sans plus s'aviser que la chose aurait dû s'accompagner de brûlures insoutenables ? Il en fut certes question, jadis, mais « avec la patte du chat », ce qui était autrement prudent ! Qui n'a un jour quêté la commisération de son prochain en déclarant « être dans l'œil du cyclone », alors que, tous les chasseurs d'ouragans vous le confirmeront, c'est là le seul endroit où l'on soit en sécurité ? Qui n'attribue injustement des cris stridents à cette malheureuse orfraie, laquelle s'en révèle bien incapable ?
Croyez-en quelqu'un dont la vie aura consisté à jouer avec les mots : bien plus souvent, ce sont les mots qui se jouent de nous…