Qu'est-ce qui ne... va pas
dans le fait
d'« aller au docteur » ?

< dimanche 24 avril 2022 >
Chronique

Pour savoir depuis toujours qu'on ne va pas « au docteur », mais « chez le docteur » (glissez à tout hasard le premier de ces tours dans la conversation, vous verrez ce qu'il en coûte), un lecteur s'interroge.

À cette construction, il ne trouve rien de pendable sur le plan syntaxique. Au diktat des grammairiens, il oppose implicitement une autre parole d'Évangile, celle de Jésus, qui demande de laisser venir à lui les petits enfants. « Si un médecin me dit Venez à moi, plaide-t-il, et que, pour l'obliger, je vais à lui, on peut dire que je suis allé au docteur ! »

Cet esprit critique nous plaît : on observe plus volontiers les règles auxquelles on adhère. Dépasser le comment pour tenter d'atteindre le pourquoi, c'est aller dans le sens d'une langue plus respectée parce que mieux comprise. N'est-il pas arrivé à l'auteur de ces lignes de défendre l'inatteignable contre l'inaccessible ? de regretter le discrédit qui pèse sur le verbe s'excuser ?

De fait, il suffit d'interroger les dictionnaires pour constater que rien n'empêche le verbe aller de se construire avec à, fût-ce devant un nom désignant une personne. Pour trouver familiers et populaires aller au coiffeur, au dentiste, le Trésor de la langue française n'en juge pas moins littéraire un aller à quelqu'un au sens de « s'adresser à, se tourner vers ». On ne peut pas dire que ces acceptions soient exclues dans le cas qui nous occupe !

Plus probant encore, le détour par la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie. Il en ressort certes que, si la préposition à est envisageable quand il ne s'agit que de se diriger vers quelqu'un, chez s'impose dès lors qu'on le fait « en tant que patient ou que client ». Au sens propre, du moins. Car que lit-on peu après, sous l'enseigne du figuré ? l'exemple Il vous faudra aller à l'évêque, avec pour sens proposé « vous adresser à lui pour lui présenter une demande ou le consulter ». Rien, là encore, qui ne siée à un médecin ! Il semblerait donc que, si chez va bien au quotidien (comme La Voix du Nord le disait naguère de la couleur bleue), une démarche exceptionnelle justifie à : Grevisse note que l'on a dit aller au roi ou au ministre, y voyant un tour archaïque plutôt qu'incorrect.

Qu'il vaille mieux aujourd'hui recourir à chez n'est pas douteux, et notre lecteur est le premier à en convenir. Mais il n'a pas tort de chercher à déculpabiliser les contrevenants dont la façon de parler est certainement moins infamante que passée de mode.