Et si l'on réfléchissait
un tant soit peu à ce que l'on dit ? (3/5)

< dimanche 13 mars 2022 >
Chronique

Il a toujours été de bon ton de « déployer tous les efforts possibles et imaginables pour parvenir à ses fins ». Pour dissuader, par exemple, des belligérants de commettre l'irréparable dans un conflit.

Comme telle, l'expression est remarquablement appropriée à ses objectifs : le second adjectif renforce le premier et marque une gradation dans l'effort. Entreprendre tout ce qu'il est possible de faire est déjà énorme. Mais, de même que Blaise Pascal, pour se représenter l'infiniment grand dans ses Pensées, confiait à l'imagination ce que la raison se révélait incapable de concevoir, de même abandonne-t-on ici le domaine du réel pour celui, quasi inépuisable, du virtuel : tout ce à quoi l'on peut se contenter de penser sera mis en œuvre. C'est dire que rien ne sera laissé de côté pour que le but soit atteint !

Pourquoi a-t-il fallu, ces derniers temps, que l'imaginable se mue en son contraire, l'inimaginable ? Faut-il incriminer, comme le fait l'Académie, notre propension ô combien humaine à aller toujours plus loin, plus haut, plus vite dans les superlatifs, la promptitude de ces derniers à s'émousser nous contraignant à une escalade sans fin ?

Toujours est-il que les exemples pullulent sur la Toile : « L'agence va remporter tous les prix créatifs possibles et inimaginables pendant trente ans » (Les Échos, octobre 2012) ; « Malgré ses infinités de combinaisons possibles et inimaginables, l'idiome français répond à un schème bien précis » (Le Figaro, septembre 2016, dans un article consacré au respect de la langue française !) ; « L'objectif n'est pas de garder toutes les activités industrielles possibles et inimaginables » (Bruno Le Maire dans Capital, juin 2017) ; « On évite tous les contacts possibles et inimaginables et on fait trois tests par semaine » (un joueur de rugby du RC Vannes cité par Ouest-France, septembre 2021).

Mais brisons là, de peur de lasser. Il suffirait pourtant d'un instant de réflexion pour parvenir à la seule conclusion qui vaille : il paraît difficile, pour ne pas dire carrément impossible, d'entreprendre quelque chose que l'on ne saurait pas même imaginer ! Et c'est en vain que l'avocat du diable quémanderait cette fois un alibi du côté de la poésie ou de l'effet de style : on a plus vite fait de parler que de penser, inutile d'aller chercher plus loin...