Nous dirions même plus : c'est notre avis
et nous... ne vous le partageons pas !
Ce clin d'œil aux frères siamois imaginés par Hergé allait presque de soi en ces jours où le « partage », devenu simple comme un coup de clic, est roi ! Reste à en parler correctement, ce qui n'est pas fait...
On est loin du compte, en effet, quand on lit, sur la page internet de notre confrère Le Point, des plus pointilleux pourtant dès qu'il s'agit de respecter la langue, ce genre de phrase : « La délégation de sept étudiants, aux parcours et engagements variés, vous partagera chaque jour ses impressions en direct de la COP26. »
Nous avons eu beau remuer tout ce que notre bibliothèque comporte de dictionnaires, nulle part on ne s'est vu confirmer que l'on pouvait encore, de nos jours, partager quelque chose à quelqu'un. Partager un gâteau avec lui, oui ! Lui faire partager une opinion (autrement dit le convaincre de sa justesse), d'accord ! Mais lui partager quoi que ce soit, voilà qui est signalé comme fautif dans le Petit Robert...
Et que l'on n'aille pas croire que ce solécisme est le seul fait de citoyens lambda, quelque peu brouillés avec le français académique, et venus s'épancher sur les forums de la Toile ! Parmi les contrevenants, on a encore relevé, le 4 novembre, le quotidien Ouest-France : « Fin août, un descendant de la famille Galand s'est rapproché des archives municipales de Cholet (Maine-et-Loire) pour leur partager numériquement 28 photos liées à l'histoire de la ville » ; le 3 septembre, le magazine Notre Temps : « Dans cette chronique, Julie Andrieu nous partage sa recette de granola » ; et, le 31 mars, le site d'actualité The Huffington Post : « Céline Dion nous partage pour ses 52 ans une photo d'elle enfant ». Sans oublier ce refrain repris en chœur sur les plates-formes de Doctolib : « Vous avez reçu un mail vous indiquant que votre praticien vous a partagé un document » !
Soit dit en passant, voilà une faute à laquelle, selon d'aucuns du moins, ne serait toujours pas étrangère la perfide Albion : comme le remarque, en fin connaisseur, l'Office québécois de la langue française, cet emploi de partager au sens de « communiquer », « diffuser des ressources » devrait beaucoup à l'anglais to share. C'est à se demander si, plutôt que de contaminer un peu plus une syntaxe qui a déjà fort à faire avec le verbe pallier, le plus simple ne serait pas, manu militari, de reconduire ce nouveau variant à la frontière !