Être « chirurgical »,
dans le foot moderne,
c'est devenu le pied...
Faut-il voir là l'ultime avatar d'une fascination pour le monde médical, que symbolisait hier le succès d'Urgences et que conforte aujourd'hui le prestige des soignants ? Toujours est-il que le « chirurgical » fait fureur...
Aux abords des hôpitaux et cliniques, certes. Mais aussi et surtout sur les terrains de football. Que l'on en juge par ces exemples glanés sur la Toile : « Van den Boomen chirurgical, Sylla dépassé » (La Dépêche, le 28/9/21) ; « Jocelyn Gourvennec après la défaite de Lille à Salzbourg : "Être chirurgical, ça aide beaucoup" » (L'Équipe, le 30/9/21) ; « Stade lavallois. François-Xavier Fumu-Tamuzo : "C'était chirurgical dans leurs sorties de balle." » (Ouest-France, le 2/10/21).
On a beau savoir que l'extension de sens n'est jamais aussi florissante que dans le sport ; que ce chirurgical-là se situe quelque part entre le précis et l'efficace (on a aussi détourné, naguère, l'adjectif réaliste, histoire de rappeler que les dribbles à la Neymar, c'est bien beau, mais que l'essentiel reste le tableau d'affichage), cette irruption du scalpel sur le gazon des stades ne manque pas d'étonner, d'autant que Larousse et Robert, si prompts d'ordinaire à sauter sur tout ce qui bouge (il faut bien vivre et vendre la dernière édition) ne s'en font pas l'écho. Le dernier accueille en effet la « frappe chirurgicale », mais, précise-t-il, dans un contexte militaire. Et il est alors question d'une attaque millimétrée, exempte de tout dommage collatéral : s'agissant de loger un ballon dans un but qui fait 7,32 mètres de large, n'est-ce pas convoquer le canon pour écraser une puce ?
Le plus savoureux reste pourtant à venir, et il est à chercher du côté de l'étymologie. C'est à leurs mains que les confrères du docteur Green doivent d'avoir été appelés chirurgiens. Ce « chir » par lequel on les désigne familièrement dans les couloirs des CHU est en fait le kheir grec qui signifie la mimine, et que l'on retrouve dans le chiropracteur (qui vous « manipule ») et la chiromancienne (qui lit l'avenir dans les lignes de votre main).
Il n'est pas beau, ce revirement linguistique qui voit les entraîneurs d'aujourd'hui encourager des footballeurs qui ne se servent jamais de leurs mains — les joueurs de rugby les surnomment « les manchots » — à se montrer chirurgicaux ? Dans la surface de réparation (prochainement rebaptisée d'opération ?), voilà qui risque de déboucher sur plus d'un penalty !