« Tri » ou « triage » : entre deux mots,
faut-il choisir le moindre ?
C'est la question que se seront posée nombre de nos lecteurs, après le coup de semonce des gens de l'AP-HP : moins importante que le débat de fond, il va sans dire, mais loin d'être futile, il s'en faut...
Les deux termes comptant dans leur panoplie d'aujourd'hui la même « action de trier », gageons que plus d'un aura voulu voir là une énième manifestation de notre propension à compliquer ce qui pourrait être simple. Celle-là n'est que trop répandue dans la langue, peut-être parce que l'usager se méfie instinctivement des mots courts, lesquels, n'ayant pas le temps de s'installer dans la phrase, courent toujours le risque de passer inaperçus. L'ajout d'un suffixe, comme ici -age, à défaut d'élégance, leur confère au contraire poids et importance, en même temps — qui sait ? — qu'à ceux qui en usent !
Il faudrait toutefois, pour étayer cette hypothèse, que le tri eût précédé le triage, ce que dément catégoriquement le Dictionnaire historique de la langue française : si les deux mots sont presque contemporains dans l'absolu (mais avec des sens tombés depuis lors en désuétude : « élite » pour le premier, « partie d'une forêt communale attribuée au seigneur » pour le second), c'est ce dernier qui, dans l'acception qui nous occupe, a devancé l'autre de près de quatre siècles. Adieu, veau, vache, cochon... et explication facile !
Autre curiosité : alors que, dans leur tribune publiée le jour des Rameaux par notre confrère Le Journal du dimanche, les quarante et un réanimateurs et urgentistes parlaient de « tri », c'est souvent le terme de « triage » qui a été repris dans les médias.
Le monde à l'envers puisque, au dire de nos lexicographes, c'est ce dernier qui serait plutôt en usage dans la médecine de catastrophe, chaque fois que, le nombre des patients dépassant la capacité de soin, force est d'opérer une sélection. Mais peut-être les auteurs de ladite tribune ont-ils jugé le simple tri préférable à un triage qui, sans crier gare, eût fait par trop ressortir le côté systématique, administrativement organisé, presque industriel de la chose ?
Ce qui est sûr, c'est qu'en cette période pascale où, plus encore que d'habitude, on aura marché sur des œufs, mieux valait trier avec soin son vocabulaire : alerter qui il fallait et qui vous savez sans effrayer inutilement les autres, lesquels, de toute façon, n'ont pas le pouvoir de décision...