Le nouveau jeu à la mode :
« Qui veut... accorder des millions ? »

< dimanche 31 janvier 2021 >
Chronique

Un lecteur s'étonne d'avoir lu dans nos colonnes (et entendu ailleurs) qu'« un million de personnes ont été vaccinées ». L'accord du verbe, plaide-t-il, ne devrait-il pas se faire, au singulier, avec le sujet million ?

Voilà sans doute — et d'assez loin ! — la question qui sera revenue le plus souvent aux oreilles de l'auteur de ces lignes, depuis qu'il vous entretient de langue française. Ce dernier n'est d'ailleurs pas loin de s'en féliciter, puisqu'une telle inquiétude témoigne pour le moins d'un louable souci d'analyser la phrase, comme de ne pas s'abandonner à la facilité qui consiste, pour décider de l'accord, à tenir compte du mot le plus proche.

Ces préliminaires posés, force lui sera néanmoins de décevoir tous ceux qui sont à l'origine de ces saines réactions, le tour incriminé ne constituant en rien une faute. C'est Maurice Grevisse en personne qui, exemples à l'appui, le souligne dans son Bon Usage : « Les noms du genre de douzaine, centaine, millier sont particulièrement proches des déterminants numéraux et ils entraînent rarement l'accord. Cela est plus net encore pour million, milliard, trillion, etc., que les usagers assimilent spontanément aux déterminants numéraux. »

À l'en croire, le phénomène ne serait pas des plus récents. Pour tout dire, nos classiques penchaient déjà pour cet accord avec le complément plutôt qu'avec le sujet, à l'instar d'un La Bruyère écrivant dans ses Caractères qu'« un million de terres comme la nôtre ne seraient toutes ensemble pas plus grosses que le soleil » ! On a connu des cautions plus friables.

De surcroît, la chose ne se rencontre pas qu'en présence de numéraux. C'est vrai aussi de nombreux collectifs comme foule, troupe, nombre, lesquels, surtout quand les précède un adjectif indéfini, influencent tantôt l'accord, tantôt non, « selon que, explique le grammairien Adolphe Thomas, l'un ou l'autre mot frappe ou doit frapper le plus l'esprit ».

Dès lors, on trouve aussi bien « Un grand nombre de soldats périrent dans ce combat » (selon le Dictionnaire de l'Académie) que « Un grand nombre de soldats fut tué dans ce combat » (dixit Littré). Elle n'est pas belle, et surtout plus tolérante qu'on ne le concède d'ordinaire, cette syntaxe française dont plus d'un aigri s'évertue, un peu trop complaisamment sans doute, à stigmatiser les inclinations réputées tyranniques ?