Quand la zone rouge
se révèle moins risquée que l'orange !
Le gouvernement a cru bien faire en ne ressuscitant pas chez ses ouailles le souvenir, par trop manichéen, d'une France libre (zone verte) et d'une autre occupée (zone rouge). Place fut donc faite... à l'orange !
Nos responsables entendaient par là se donner du temps avant de trancher dans quelques cas que le franglais d'aujourd'hui qualifierait de « borderlines » (c'est tellement plus chic que limites !). Ils ne se doutaient pas qu'ils allaient surtout donner des sueurs froides à tous ceux qui auraient besoin d'une séance de télétravail sur l'accord des adjectifs de couleur.
C'est ainsi que l'on a assisté à l'éclosion sauvage de « zones oranges » qui auront fait voir rouge aux initiés et ce, bien avant la date butoir du 11 mai : « Olivier Véran s'est brièvement expliqué : "Aujourd'hui, nous avons maintenu des zones oranges" » (Le Parisien) ; « Les zones oranges sont des zones qui ont vocations (sic) à basculer... » (Ouest-France) ; « Le sort de ceux situés dans les zones oranges ou rouges est pour le moment incertain » (Gala). Sur le site du magazine Camping-Car, c'est plus savoureux encore : on s'est montré pointu en laissant au singulier les adjectifs des « zones rouge et verte » (une zone rouge et une zone verte, bravo !), mais ce fut ensuite pour donner, tête baissée là aussi, dans les « zones oranges ». À nos lecteurs de s'assurer que leur journal préféré n'a point péché en la matière...
Profitons bassement de l'occasion pour rappeler que, si les adjectifs de couleur prennent, comme la plupart de leurs homologues, la marque du pluriel, ceux qui, à l'origine, étaient des noms, tels orange et marron, se doivent de rester invariables, en souvenir de leur ancien statut. Les zones susdites sont en réalité « de la couleur de l'orange », et ceci explique cela. Vous hésiteriez d'ailleurs moins à écrire que des yeux sont « pervenche » ou des gants « moutarde », les intéressés n'ayant vraiment pas des gueules d'adjectif !
D'aucuns regretteront que les autorités n'aient pas jugé bon de distinguer entre zones « orange clair » (proches du vert) et « orange foncé » (menacées de verser dans le rouge). On se serait souvenu que, quand un adjectif de couleur est constitué de deux mots ou plus, l'ensemble reste invariable : « Des directrices d'école sont vert pâle (et non "vertes pâles" !) à l'idée de rouvrir dans ces conditions. » Mais est-ce si sûr, au fond ?