« Soignant », « sachant », une démocratie
de plus en plus... participative !
Dans le discours médiatique de ces derniers mois, il n'aura été question (ou presque) que des soignants et des sachants. Un authentique triomphe, diront les spécialistes, pour le participe présent substantivé !
À vrai dire, il ne date pas d'hier. Il y a belle lurette que l'Éducation nationale, par exemple, ne prêche plus que par enseignants et apprenants. Étiquettes commodes à plus d'un titre. Pour la première, l'occasion de jeter aux oubliettes ces profs sans féminin net (tare rédhibitoire en ces temps inclusifs) et d'en finir, au sein de la corporation, avec la disparité des grades et des conditions. Pour la seconde, d'évacuer ce rapport de force insupportable à notre époque soucieuse d'égalité, au moins apparente : apprenant et enseignant, infiniment moins clivants que l'élève et le maître d'hier, ne se différencient plus que par leur fonction. Moins valorisant pour celui-ci (mais l'infortuné a vécu bien pis depuis lors, voyant son individualité dissoute dans l'inénarrable « équipe pédagogique »), moins humiliant pour celui-là qui ne nécessite plus d'être « élevé ».
Le mot soignant — le même de l'infirmière stagiaire au ponte chéri des médias, ce qui permet chaque soir de remercier large et d'applaudir plus fort — répond probablement aux mêmes exigences. Le participe est une forme verbale, qui met moins l'accent sur l'état (vecteur de distanciation sociale au sens vrai du terme) que sur l'action : au fond, nous sommes tous des... bossants !
Le cas de sachant est plus épineux. S'il ne figure aujourd'hui que dans les dictionnaires juridiques (mais a de fortes chances de s'inviter dans les usuels après le tabac susdit), il n'est pas non plus né de la dernière pluie. Pour signifier qu'apprendre n'est pas savoir, Dumas écrivait déjà dans son Comte de Monte-Cristo : « Il y a les sachants et les savants : c'est la mémoire qui fait les uns, c'est la philosophie qui fait les autres. » Point n'est besoin d'insister, en l'occurrence, sur la nuance péjorative que véhicule alors le vocable !
Elle nous semble moins nette en ces jours où il importe de distinguer ceux qui savent de tous les autres, lesquels parlent à tort et à travers. Mais le pli est pris : les journalistes deviendront bientôt des informants, les gens du fisc des imposants et les grands de ce monde des pouvants. D'ailleurs, il n'est que trop clair que ces derniers font actuellement... ce qu'ils peuvent !