Semaine du français :
l'orchestre qui joue pendant le naufrage ?

< dimanche 15 mars 2020 >
Chronique

Cette année, c'est la thématique de l'eau qui sert de fil conducteur à la « Semaine de la langue française et de la francophonie ». Choix ô combien judicieux en ces temps de réhabilitation forcée de l'hygiène...

Gageons que les blasés regretteront, alors que le gel hydroalcoolique brille par son absence dans nos pharmacies, que le savon n'ait pas été fourni du même coup. Il devrait même s'en trouver pour ironiser sur la présence de la locution à vau-l'eau parmi les dix mots emblématiques de l'édition 2020 et feindre d'y voir (mieux vaut tard que jamais) un sursaut de lucidité : n'est-ce pas précisément notre français qui s'en va « à vau-l'eau » sous les coups de l'anglomanie ?

C'est à se demander en effet s'il ne siérait pas d'inscrire cette dernière au nombre des « comorbidités » susceptibles d'aggraver les conséquences du coronavirus, au même titre que le diabète, l'insuffisance respiratoire et l'hypertension : il suffit de voir avec quel brio le « cluster » — inconnu au bataillon du grand public il y a un mois — s'est installé comme chez lui dans nos médias. On nous fera valoir que, plus encore que pour un virus, la fermeture des frontières est inefficace dès qu'il s'agit de mots. Au demeurant, en matière de confinement, rien n'a été tenté.

« Regroupement, dans le temps et dans l'espace, de cas de maladies, de symptômes ou d'événements de santé au sein d'une population » ? Précis et complet, mais d'une longueur évidemment rédhibitoire. « Chaîne de transmission » ? Déjà mieux mais encore trop long, pour le journaliste comme pour le lecteur lambda. « Agrégat spatio-temporel » ? Même chose, le côté intello en sus. « Grappe » ? Traduction littérale, mais énigmatique en dehors du contexte : de surcroît, ça sent trop le... pépin pour que l'on y recoure quand il s'agit d'abord de conjurer la panique. « Foyer » ? Par trop enclin à s'embraser, lui aussi.

Bref, faute de grenouilles, on mange du rosbif ! Et ça se passe toujours ainsi, ou presque. Il en va de l'adoption d'un mot comme, jadis, de la colonisation de l'Oklahoma : le premier à planter sa pancarte est considéré comme le propriétaire des lieux. Et comme cet anglicisme est rabâché jusqu'à plus soif dans une émission d'information qui s'intitule gaillardement Tonight Bruce Infos, aucune chance qu'il la dépare au point d'en offusquer le téléspectateur !