Quand, sans le dire, la classe politique
fait de l'étymologie son alliée...
Pas si ringarde que ça, ladite étymologie ! Les réactions qu'a provoquées le récent « avis » du Conseil d'État sur la réforme des retraites prouvent que nos politiques savent s'en réclamer, pour peu que la situation l'exige...
Pas question, pour les troupes de LREM, de nous resservir la légendaire et pléonastique réplique du second des Dupondt : « C'est mon avis et je le partage ! » Le camouflet encaissé, on a eu tôt fait de rappeler, dans les rangs de la majorité, qu'un avis n'engage jamais que celui qui l'émet. Qu'il n'est qu'une opinion parmi d'autres, conformément à ses origines : le tour archaïque ce m'est avis descend en effet du latin mihi est visum, « telle que la chose m'est apparue ». Au besoin, en brandissant au passage l'arme absolue que représente, en l'espèce, l'adjectif consultatif. Élégante façon d'insinuer que, si l'avis demandé ne va pas dans le sens souhaité, il est toujours loisible de passer son chemin en n'en tenant aucun compte !
Dans le camp d'en face, inutile de préciser que l'on a une tout autre lecture de l'étymologie. On s'y souviendrait bien plutôt que, dès le XIVe siècle, le mot avis a connu un glissement de sens des plus significatifs : de simple « manière de voir » qu'il était, il est devenu, dans certains contextes à tout le moins, un « conseil », une « recommandation » plus ou moins expresse. Quand Littré cite en exemple « recevoir très mal les avis » et évoque, sous la plume de Corneille, des « avis dédaignés », il souligne que l'on a franchi là un cap : il ne s'agit plus de dire, en quelque sorte gratuitement, ce que l'on pense, mais d'influencer autrui, de peser sur d'éventuelles décisions à venir. Toujours pas injonctif, certes, mais déjà moins consultatif qu'incitatif !
Pis encore, l'acception — autrement comminatoire — d'« avertissement », que Littré, toujours lui, illustre à travers cette courte phrase : « Il ne faut pas que le vieillard néglige les avis que la nature lui donne » ! Bien sûr, on peut toujours le faire, mais que l'on ne vienne pas se plaindre si, par la suite, on a à s'en mordre les doigts...
Se trouve par là confirmé, une fois de plus, que l'on fait souvent dire à un mot ce que l'on veut qu'il dise. Une chose n'en est pas moins sûre : s'il ne se berce pas forcément d'illusions sur la réelle portée de ses remarques, le Conseil aura mis le microcosme politique dans tous ses... états !