Il arrive parfois
que le sens d'un mot
ne tienne qu'à un -phile !
Avec les affaires Matzneff et Preynat, la pédophilie occupe en ce moment le devant de la scène. De quoi constater que l'un des suffixes les plus féconds de notre langue ratisse plus large qu'on ne le pense...
Au commencement, il y a le verbe grec philein, que l'on traduit un peu vite par « aimer ». Le Dictionnaire historique de la langue française précise en effet que la nuance affective, pour être ancienne, n'est que secondaire dans l'élément phil qui en dérive et que notre langue utilise généreusement, tant comme préfixe que comme suffixe. Il était plutôt question, à l'origine, de marquer une appartenance à un groupe social et de désigner, par philos, l'une ou l'autre des personnes tenues par les liens de l'hospitalité ! Bon à savoir pour ceux qui s'étonnent de la diversité sémantique des vocables contenant cet élément.
La langue courante en use et en abuse, surtout pour traduire un goût pour quelque chose. Ce n'est pas un hasard si l'élément prospère dès qu'il s'agit de nommer les collectionneurs : philatéliste, bibliophile, cartophile, pour ne citer que ceux qu'accueillent nos dictionnaires. Mais le microtyrosémiophile (collectionneur d'étiquettes de portions de fromage) et le schoïnopentaxophile (collectionneur de cordes de pendus), s'ils restent plus confidentiels, font un malheur dans les salons ! On y a recours aussi pour contenir la xénophobie ambiante (russophile, germanophile et tutti quanti).
La langue savante, elle, ne va pas aussi loin dans la passion. Quand les médecins soignent l'hémophilie, ils pensent moins à un goût pour le sang (sauf si leur patient émarge au budget de Twilight) qu'à une affection héréditaire dont on se passerait volontiers et qui compromet la coagulation. Quand les chimistes parlent de coton hydrophile, ils font seulement allusion à la capacité de ce dernier à absorber l'eau. Pour ce qui est, enfin, des penchants nécrophiles que traquent les psychiatres, bien en deçà de l'amour qu'il sied d'éprouver pour nos défunts, ils relèvent d'une attirance perverse pour le morbide.
Cas particulier qui prouve que ces sens peuvent quelquefois se chevaucher : pour Robert, la zoophilie désigne aussi bien un louable attachement pour les animaux que la pratique sexuelle que l'on sait. Redoutable ambiguïté qui, fort heureusement, ne s'applique pas au sujet du jour. N'allez pas vous traiter de pédophile sous prétexte que vous aimez les enfants. Le Robert lui-même ne vous couvrirait pas !