Si l'on ne peut même plus
s'engueuler dans la langue de Molière !

< dimanche 2 juin 2019 >
Chronique

Il n'a été question cette semaine que du « clash » qui a opposé, dimanche dernier sur TF1, l'ancien lanceur de pavés Daniel Cohn-Bendit à l'avocat d'extrême droite Gilbert Collard. Du nanan pour les bêtisiers à venir...

Il n'appartient certes pas au chroniqueur de langue de souligner que les oiseaux (dont on devait d'ailleurs apprendre les noms dans la foulée) ont pour la circonstance volé très bas. Mais bel et bien de remarquer que l'anglicisme clash a aujourd'hui fait le vide autour de lui, ne laissant plus que des miettes aux pourtant vindicatifs Gaulois qu'une tradition tenace veut voir en nous ! Conflit ? Dispute ? Querelle ? Plutôt légers pour les « Crétin ! », « Connard ! », « Ordure ! » et autres vocables de fins lettrés qui ont éclaboussé l'infortunée Rachida Dati, qu'un sort cruel avait placée entre les deux soudards. Différend ? Presque littéraire eu égard au contexte, et son « d » final serait apparu à beaucoup comme une provocation supplémentaire. Rixe ? Déjà mieux, tant on fut près d'en venir aux mains, et plus convaincant que la pâle échauffourée, en tout cas ! Altercation ? Pas mal non plus, mais long, beaucoup trop long au royaume des injures où les monosyllabes sont souvent rois.

On s'étonne de moins en moins que les gazettes et, davantage encore, la Toile, s'en soient remises à l'onomatopéique clash, qui dit tout d'un son, là où la plupart de nos mots ont besoin d'un dictionnaire pour se faire comprendre. Nous n'en regretterons pas moins, pour notre part, ces bonnes vieilles prises de bec, qui avaient tout pour se sentir chez elles dans cette volière ! Il faut néanmoins se rendre à l'évidence : les Anglais, qui ont probablement beaucoup appris en leur temps d'un certain Cambronne bien de chez nous, n'attendent même plus qu'on les y invite pour, en matière de langage, tirer les premiers. La preuve en est que le Petit Robert (« Little Bob » pour les intimes prompts à railler son anglomanie galopante), au nom du rapprochement de conjoints sans doute, ouvre désormais toutes grandes ses colonnes au verbe clasher, qu'il soit intransitif (« Ça a failli clasher ! », « On n'a pas clashé... ») ou transitif (« se faire clasher »). Dans ce sens, on disposait pourtant déjà, diront les rabat-joie, d'agresser, d'éreinter, de prendre à partie... Mais pourquoi diable chercher mieux quand on peut manifestement faire pis ?