Ces mots qui veulent dire à la fois
une chose et son contraire...

< dimanche 27 mai 2018 >
Chronique

Si la langue française a toujours été saluée pour sa précision, elle n'en est pas moins sujette à quelques absences. En témoignent ces curiosités que, dans leur jargon, les spécialistes nomment énantiosèmes !

Le vocable a de quoi effrayer, surtout ceux qui ignorent qu'enantios signifie « opposé » en grec, mais, même pour ceux-là, il y aura plus de peur que de mal : on aura vite fait de comprendre que l'on évoque là des mots dont deux acceptions se contredisent.

Un exemple qui ne peut que parler, à quelques semaines d'une Coupe du monde de football durant laquelle chaque chaîne, chaque station exhibera fièrement son « consultant » : ne vous est-il jamais arrivé de vous étonner de ce suffixe actif quand lesdits consultants sont surtout consultés ? C'est que le verbe consulter, dans le domaine médical notamment, a depuis longtemps les deux casquettes : c'est d'abord le patient qui consulte (le médecin), mais c'est aussi le médecin, en « donnant des consultations » ! Ce dernier sens aurait d'ailleurs été le premier, consulter ayant à l'origine signifié « délibérer, examiner un cas ».

N'en déplaise aux esprits cartésiens que nous nous flattons d'être, ce n'est pas là un cas d'espèce. Apprendre n'est pas le lot du seul « apprenant », comme on aimait à dire dans l'Éducation nationale d'avant Blanquer, il est aussi le synonyme d'enseigner, soit tout le contraire ! Cela fait un bail que locataire et propriétaire se partagent l'honneur de louer. Plus gênant : quand le patron vous convoque pour vous remercier, allez deviner s'il vous apprécie ou s'il vous met à la porte !

Au royaume des noms, hôte est à l'évidence roi de l'équivoque puisqu'il accueille autant qu'il est accueilli : pas facile de savoir à qui l'on pense quand on retient une « chambre d'hôte » ! Madame est mieux servie puisque, chez elle, on ne mélange pas plus hôte et hôtesse que torchons et serviettes. Faisons un sort encore à crépuscule, plus couramment utilisé, certes, pour évoquer le coucher du soleil, mais fondé à traduire aussi son lever, l'atteste Baudelaire avec ses Crépuscule du soir et Crépuscule du matin. Que dire enfin du mot malheur, apparemment lesté de toutes les plaies du monde, mais qui, par antiphrase, a tôt fait de virer sa cuti : qui ne comprendrait que l'auteur de ces lignes espère en faire un avec ces dernières ?