Une monnaie peut en cacher une autre
Le cent circulera-t-il ?
Il n'aura échappé à personne que la monnaie unique se situe à l'épicentre de l'actuel branle-bas électoral. Si certains l'appellent de leurs vœux et voient dans sa mise en place la condition préalable à tout progrès, d'autres (qui ne se recrutent pas forcément dans le camp adverse) crient haro sur l'euro et tiennent cette monnaie, à leurs yeux plus inique qu'unique, pour responsable de tous nos maux. Loin de nous, cela va sans dire, l'intention d'intervenir dans un débat qui déborde le cadre, strictement linguistique, de la présente rubrique. Mais on nous en voudrait peut-être de ne pas rapporter, dans ces colonnes, le coup de... sang dont ont été victimes diverses associations de défense de la langue française lorsqu'elles apprirent que l'euro serait subdivisé en cent cents. Passe encore, fulminent ces dernières, que l'écu, qui figurait en toutes lettres dans le traité naguère voté par les Français, ait été finalement écarté parce qu'il n'avait pas l'heur de plaire à Francfort... Mais nous imposer, par-dessus le marché, un terme si peu conforme à l'esprit de notre langue — ne promet-il pas d'engendrer des confusions entre la centaine et le centième ? —, c'est, au dire encore des associations susnommées, ce qui s'appelle passer les bornes ! Évidemment, nous aurons toujours le loisir, pour faire pièce à ce genre de confusions, de prononcer cent à l'anglaise... Mais voilà qui compromettrait un peu plus une Commission européenne depuis longtemps soupçonnée d'avoir, pour le parler de Shakespeare, les yeux de Chimène ! Sans vouloir pousser la polémique aussi loin que les sociétaires d'Avenir de la langue française (lesquels mettent nos parlementaires en demeure de « refuser que ce cent impur abreuve nos porte-monnaie »), reconnaissons avec eux que le mot incriminé sied peu à une Europe appelée à combattre l'hégémonisme américain : il n'est pas certain qu'emprunter au concurrent ses façons de parler soit le meilleur moyen de préserver cette identité culturelle dont chacun, pourtant, fait officiellement son cheval de bataille...