Dans le lexique comme dans la vie,
ça trompe énormément...

< dimanche 11 octobre 2015 >
Chronique

L'homme n'a pas attendu le diesel pour enfumer son semblable : c'est par essence qu'il est le prince de l'arnaque ! Les mots pour le dire et pour le faire abondent, au point qu'on finirait par ne plus savoir choisir...

De tous les verbes exprimant la duperie, escroquer est l'un des plus anciens puisqu'il est attesté, dans ce sens, au XVIe siècle. Il dériverait de l'italien scroccare, « manger aux dépens d'autrui ». À ses crochets, pourrait-on dire, histoire de serrer de plus près l'étymologie : ces derniers ne sont autres que ceux dont usait autrefois le portefaix pour transporter ses fardeaux... « Vivre à ses crochets » revenait donc à s'installer sur son dos, à être pris en charge !

On peut aussi se faire estamper, quoique ce tour ne jouisse plus du crédit qui fut le sien il y a un siècle. Vous ne voyez pas le rapport avec l'estampe et auriez besoin d'une explication... de gravure ? La voici : l'artisan, pour ménager creux et bosses, devait taper d'importance sur sa feuille de métal. Mais se faire taper n'a-t-il pas toujours signifié, familièrement du moins, « se laisser soutirer de l'argent » ?

Ce n'est pas le flou qui manque dans l'étymologie du verbe flouer, synonyme à succès de « duper » au XIXe siècle, employé à dose homéopathique depuis lors. Littré a soupçonné une déformation de filouter, d'autres préfèrent y voir une variante du verbe frouer, lui-même né du latin fraudare, « tromper ». Trois cents ans plus tôt, celui-là aurait d'ailleurs signifié « tricher au jeu ». Villon s'en serait servi, c'est dire !

Autrement récente nous semble l'arnaque. Celle-ci aussi remonte pourtant au XIXe siècle, mais elle est toujours, elle, en odeur de sainteté. Le doit-elle à la musique d'un film où s'illustra le duo Newman-Redford, laquelle trotte encore dans toutes les têtes ? Allez savoir ! Devine-t-on toujours qu'arnaquer est une déformation picarde du verbe harnacher, l'accoutrement et le travestissement étant les deux mamelles de la duperie ? Rien n'est moins sûr...

Ceux qui penseraient enfin que blouser a un quelconque rapport avec le vêtement iront se rhabiller : la blouse est ici le trou du billard, où il s'agissait d'envoyer la bille de l'adversaire. Parfois, c'était la sienne propre que l'on y poussait, auquel cas on se blousait soi-même. Une forme... d'autodestruction, jubilera le moraliste, ravi que le dupeur soit à son tour dupé !