« Raflés », « alcoolisés » : ces participes
passés qui rendent... tout chose !
Il fut un temps, pas si lointain, où l'on se trouvait « pris dans une rafle », où l'on se faisait surprendre « en état d'ébriété ». Tournures trop pesantes, à n'en pas douter, pour les gens pressés que nous sommes devenus...
Aujourd'hui, la Toile regorge d'« enfants juifs raflés en Isère », d'« étrangers » raflés dans les rues de Luanda », de « sans-papiers raflés à Barbès ». De même, on n'y compte plus « les policiers pris à partie par des individus alcoolisés », « les fêtards alcoolisés qui coûtent cher à la communauté », les « conducteurs alcoolisés verbalisés durant le week-end ». Nous n'irons pas jusqu'à crier à la faute puisque certains de nos dictionnaires entérinent sans sourciller ces façons nouvelles de s'exprimer : dès lors que Robert, par exemple, propose, parmi les diverses acceptions de rafler, « arrêter lors d'une rafle » et fait du conducteur alcoolisé quelqu'un qui est « sous l'emprise de l'alcool » (confondant du même coup emprise et empire, mais passons !), allez donc jouer les dons Quichottes et charger les moulins à vent !
S'il ne peut être question, dans ces conditions, de brandir l'anathème, il n'est pas interdit de rappeler que l'on n'usait naguère des verbes rafler et alcooliser que pour les choses. On raflait de l'argent (les mises au jeu, notamment), un butin, des marchandises, qui plus est dans un langage passablement familier. Quant au verbe alcooliser, son sens premier (« ajouter de l'alcool à », « transformer en alcool ») dit assez qu'il ne s'appliquait à l'origine qu'à la boisson, et non à celui qui s'y adonnait ! C'est « plaisamment », lit-on dans le Dictionnaire historique de la langue française, que le pronominal s'alcooliser a un jour signifié « abuser des boissons alcooliques » : le participe alcoolisé n'avait certes pas vocation à concurrencer éméché, ivre, soûl, pour ne parler que des qualificatifs les plus présentables. Il n'est pas impossible que le politiquement correct l'y ait finalement aidé, mais, si tel est le cas, ce fut un très mauvais calcul : y a-t-il plus dégradant que d'appliquer à l'humain ce qui, jusqu'alors, n'en avait pas été jugé digne ?
Les indécrottables optimistes nous répondront qu'en l'occurrence le mal n'est pas bien grand, l'humanité, de toute façon, n'étant pas plus présente chez la brute avinée que chez celle qui organise des rafles à des fins de génocide. Gardons-nous pourtant, en règle générale, de mélanger ainsi les torchons et les serviettes si nous voulons éviter que les actes ne suivent un peu trop souvent les mots...