Langue française : y a-t-il encore
un pilote dans l'avion ?
N'aura probablement échappé à personne le différend qui a opposé, il y a peu, à l'Assemblée nationale, la présidente de séance Sandrine Mazetier à un député de l'opposition, Julien Aubert, bien décidé à lui donner du « Madame le Président ».
Tout a été dit, en effet, et depuis longtemps, sur les positions respectives d'une Académie française encline à préserver la neutralité des titres et fonctions par le biais de ce genre « non marqué » que serait le masculin — Hélène Carrère d'Encausse ne se fait-elle pas appeler « Madame le secrétaire perpétuel » ? — et d'une partie de la classe politique soucieuse de voir se traduire dans les mots l'irrésistible ascension de la gent féminine, trop longtemps vouée aux emplois subalternes. Au demeurant, qui ne sentirait que cette parité-là se révélera toujours moins ardue à mettre en œuvre que d'autres ?
Le sujet étant aussi scabreux que lourd d'arrière-pensées politiciennes, on nous pardonnera de ne point mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce. Bornons-nous à craindre que ne constitue un dangereux précédent la sanction financière (1378 €) infligée au parlementaire iconoclaste : de petits esprits ne seront-ils pas tentés de s'en réclamer pour proposer que tout manquement aux règles de la syntaxe perpétré par l'un de nos gouvernants dans l'exercice de ses fonctions soit désormais l'occasion d'une semblable « mise au pot » ? C'est pour le coup que nos caisses seraient promptement renflouées, et le trou de la Sécurité sociale dûment rebouché !
Au-delà de l'anecdote, il y a pourtant plus grave. À savoir que le français, qui jadis tirait sa légitimité de son caractère un et indivisible, ressemble de plus en plus à la cour du roi Pétaud, où tout le monde est maître, c'est-à-dire personne : il n'est que trop clair qu'il y a aujourd'hui le français de l'Académie et celui des pouvoirs publics ; une orthographe traditionnelle et une nouvelle orthographe ; un français hexagonal, qui rejette largement cette dernière, et celui que l'on pratique en Belgique ou en Suisse, autrement réceptif aux sirènes de la réforme. Nous ne doutons pas un instant qu'il se trouvera des chantres pour s'en réjouir, au nom de la sacro-sainte diversité. Reste à souhaiter, à l'heure où l'enseignement de notre langue a un cruel besoin de certitudes, que cette diversité ne passe pas d'abord pour de la pagaille...