Quand nos pharmaciens n'entendent pas
être pris pour des apothicaires...
Qui songerait, aujourd'hui, à nier la noblesse du métier de pharmacien ? L'étymologie est pourtant là pour nous rappeler que la langue ne lui a pas toujours fait de cadeaux et qu'il lui a même fallu avaler... maintes pilules !
Il suffit de se souvenir que, du XIIIe au XVIIe siècle, c'est le terme d'apothicaire qui eut, quasiment seul, pignon sur rue, ce qui n'était pas vraiment fait pour donner du cachet à la profession. Sous ses airs savants, en effet, l'« apothicairie » ne pouvait faire oublier qu'elle était la cousine germaine de notre vulgaire boutique, pur produit du grec apothêkê, lui-même simple « lieu de dépôt ». On n'y trouvait d'ailleurs pas que des remèdes, mais aussi des vivres, notamment des produits rares comme les épices, ou exotiques comme le sucre. De là à faire de l'apothicaire un simple boutiquier, voire un épicier un brin mercantile, il n'y avait qu'un pas, que le mépris que lui vouait le médecin aura aidé à franchir. Allez vous étonner, après cela, que le prétentieux Homais, dont Flaubert nous fait un portrait consternant de bêtise dans Madame Bovary, revendique haut et fort, au point de l'exhiber en lettres d'or à la devanture de son officine, le titre de « pharmacien », moins suspect d'arrière-pensées lucratives !
Non que ce dernier fût, pour sa part, tombé dans la potion magique étant petit : pharmakeia désignait en grec l'art d'utiliser les poisons au moins autant que les médicaments, ce qui fait que le pharmacien de l'Antiquité ressemblait à s'y méprendre à un sorcier... Autre avatar guère plus reluisant, le mot pharmacie, au Moyen Âge, s'emploiera plus spécifiquement pour les seules drogues... laxatives ! Mais il faut croire que ce crochet par les bas-fonds de notre condition lui portera bonheur puisque, peu à peu, ledit mot va refaire surface et s'imposer définitivement aux dépens d'un apothicaire de plus en plus décrié. En témoigne le remplacement, en 1777, du Jardin des apothicaires par le Collège de pharmacie, passage de témoin hautement symbolique que confirmera, quelques années plus tard, une Révolution trop heureuse d'en finir avec un vocable empreint, à ses yeux, de corporatisme et de féodalité.
Une chance pour nos grévistes : il n'aurait plus manqué que le combat désintéressé qu'ils mènent pour la qualité des soins fût assimilé par de petits esprits à des... comptes d'apothicaire !