Nouvelle orthographe :
on est pour quand c'est contre !

< dimanche 23 février 2014 >
Chronique

Libre à chacun de penser ce que bon lui semble de cet « observatoire des contreparties » qui met aujourd'hui aux prises François Hollande et le patron des patrons, Pierre Gattaz. Du moins ne devrait-on plus, bientôt, avoir à s'interroger sur l'orthographe desdites contreparties...

Dieu sait que je n'ai jamais été, et cela relève de l'euphémisme, un chaud partisan d'une réforme de l'orthographe par trop encline à simplifier à tout-va, à l'image de celle que nous a concoctée le Conseil supérieur de la langue française, au crépuscule du deuxième millénaire. Un quart de siècle plus tard, force est d'ailleurs de constater que son succès se mesure à l'aune ambiguë de ces fameuses bouteilles dont l'une serait à demi vide, l'autre à moitié pleine. Personne ne niera en effet que les formes nouvelles n'aient su, ces dernières années, se faire une place au soleil de nos dictionnaires, quand il s'agirait souvent, notamment chez Larousse, d'un strapontin. Sur le front de l'édition, en revanche, l'orthographe traditionnelle continue de régner sans partage. Aussi bien, chacun a toujours deviné que la belle se jouerait sur le terrain ô combien sensible de l'école. Las ! le problème n'est pas de savoir, à l'heure actuelle, quelle orthographe on enseigne dans l'Éducation nationale, mais bien plutôt laquelle l'élève ne retient pas : ces disputes entre clercs ont-elles encore un sens dès lors que nos chères têtes blondes ne distinguent plus guère, dans des devoirs qui ressemblent de plus en plus à leurs textos, entre imparfait, infinitif et participe passé ?

S'il est pourtant un domaine dans lequel la nécessité d'une plus grande cohérence ne fait pas débat, c'est bien celui des mots en contre. Pour la contrepartie évoquée, combien de contre-mesures ? C'est qu'au contrechamp répond le contre-chant, au contrecoup le contre-choc, à la contrebasse le contre-ténor, à la contrevérité la contre-proposition, à la chose faite à contrecœur, l'interlocuteur pris à contre-poil ! Comme n'aurait pas manqué de l'écrire l'avisé Blaise Pascal, « vérité en contre-haut, erreur en contrebas ! »

Quand le mot qui se joint à contre a pour initiale une voyelle, la situation est à peine plus limpide. Certes, dans la plupart des cas, le trait d'union est de rigueur : c'est un contre-alizé qui vient tutoyer le contrevent, une contre-expertise qui traque les contrefaçons, un contre-interrogatoire qui confond le contrevenant, une contre-offensive qui se brise sur la contrebatterie adverse. Mais contravis et contrordres ne manquent pas : le contralto fait entendre sa voix discordante, et la contrescarpe n'a pas sa place qu'à Paris !

Ne parlons pas des contredits que s'infligent les dictionnaires : contre-pied, contre-projet, contre-proposition, contre-sujet chez l'un, contrepied, contreprojet, contreproposition, contresujet chez l'autre ! Pour ce qui est, enfin, de contretemps, si Robert distingue entre la circonstance imprévue (en un mot) et le terme musical (avec un trait d'union), chez Larousse son siamois est toujours... attaché !

On l'aura compris : être contre la réforme n'interdit pas, sur certains points, d'être tout contre ! En préconisant la soudure dans tous les cas et l'effacement systématique du « e » de contre devant une voyelle (contrattaque, contrespionnage et même contrut, quand cette note-là serait plus dure à pousser), les réformateurs ont gommé des lustres d'arbitraire. Ce faisant, ils auront sans doute cassé le jouet de ceux qui, à l'instar de votre serviteur, se délectaient à slalomer entre ces multiples... contradictions et contresens. Mais la langue n'est pas qu'un terrain de jeu pour initiés, elle se doit de permettre au plus grand nombre d'écrire clairement ce qui se conçoit bien.