Maman, les p'tits bateaux-mouches
qui vont sur la Seine...
...ont-ils un « s » au pluriel ? Mais oui, mon gros bêta, s'ils n'en avaient pas, Larousse, Robert et l'Académie française n'en mettraient pas ! Pour unanime qu'elle soit, cette position, on va le constater, en laisse plus d'un sceptique...
Nombreux sont ceux, en effet, à l'instar de ces candidats de Money Drop à qui la question a récemment coûté cher, qui veulent voir dans la mouche de ce... coche d'eau un nom propre, peu enclin par nature à prendre la marque du pluriel. Certains, peut-être, ont accordé trop de crédit à ce canular monté de toutes pièces le 1er avril 1953 par la compagnie des Bateaux(-)Mouches — trait d'union volontiers nomade ! — elle-même, laquelle, à la faveur d'une croisière sur la Seine où se pavana le Tout-Paris, n'a pas hésité à rendre hommage à un Jean-Sébastien Mouche purement et simplement inventé. Un buste dégoté aux puces, un état civil bidon qui faisait de l'intéressé un proche du baron Haussmann, et le tour fut joué : en dépit de la date, on n'avala que trop facilement cette fable d'un ancien chef de la police secrète qui aurait créé une flottille pour fluidifier la circulation intra-muros.
D'autres, de façon plus fondée, se réclament du fait que, bien avant de devenir d'irremplaçables protagonistes de la mythologie parisienne, les premiers de ces bateaux auraient été construits, notamment en vue de l'Exposition universelle de 1867, du côté d'une autre capitale, celle des Gaules, dans un quartier qui répondait précisément au nom de la Mouche. L'explication est autrement crédible, que corrobore encore l'utilisation fréquente de la majuscule. Mais alors, comment expliquer que dès cette époque, a priori plus respectueuse de l'orthographe que ne l'est la nôtre, le « s » final — les cartes postales d'hier sont souvent là pour le prouver — se soit imposé au pluriel ? Sans doute parce que, de nom propre qu'il était effectivement à l'origine, Mouche est rapidement devenu nom commun pour un imaginaire collectif peu soucieux de préserver les droits du terroir ! Les Lyonnais eux-mêmes ne lancèrent-ils pas, dans le sillage des « Mouches » en 1872, des « Abeilles » et des « Guêpes » qui firent beaucoup, vraisemblablement, pour que la relation avec le quartier susdit s'estompât peu à peu dans les esprits ?
Que, par le plus grand des hasards, le nom commun correspondant se prêtât à merveille à cette passation des pouvoirs a dû, n'en doutons pas, grandement la faciliter : ces bâtiments légers, préposés aux courts trajets, ne s'accommodaient-ils pas aisément de l'image d'une mouche, insecte frêle et virevoltant à la surface des eaux ? Point n'était même besoin, au fond, d'appeler à la rescousse les petits navires de guerre du même nom, utilisés à des fins d'espionnage...
Que dire, enfin, de cette énième hypothèse qui ferait de ces bateaux-mouches bien de chez nous de vulgaires sous-produits des flea-boats londoniens, ainsi baptisés parce qu'ils effectuaient eux aussi, sur la Tamise, et prétendument avant les nôtres, des sauts de... puce ? D'aucuns en effet — les mêmes, probablement, qui rappellent jusqu'à plus soif que Twickenham est le temple du rugby, Wembley celui du football et Wimbledon celui du tennis, bref ceux pour qui tout ce qui compte ne peut qu'être né outre-Manche — avancent que nos mouches (en anglais flies) sont une probable déformation des fleas britanniques !
Et puis quoi encore ? Ce n'est pas parce que nous passons, aux yeux des sujets de sa Gracieuse Majesté, pour des mangeurs de grenouilles qu'il nous faut gober n'importe quoi... En la matière, refusons toute primeur aux Anglais et n'hésitons pas à leur répondre, en toute cordialité évidemment : « Avant vous, les mouches ! »