Quand la réalité dépasse la métaphore !

< dimanche 2 juin 2013 >
Chronique

Il est des expressions qui gagneraient à rester des images. « Jeter le bébé avec l'eau du bain » est de toute évidence de celles-là : qui diable, parmi ceux qui y recourent, aurait jusqu'ici osé lui accorder un soupçon de crédit ? Et pourtant...

L'impensable s'est produit cette semaine : un nouveau-né a été extrait vivant du conduit de W.-C. d'un immeuble, en Chine. Abandon délibéré de la part de sa mère ou, comme elle l'a prétendu, accouchement inopiné sur des latrines à la turque ? Il ne m'appartient évidemment pas d'en décider. Mais puisque cette rocambolesque affaire a connu une issue heureuse et que les jours du bébé ne sont plus en danger, ne serait-ce pas le moment opportun pour nous pencher sur l'origine de cette locution des plus énigmatiques ?

Notre réputation d'hygiène douteuse n'étant plus à faire en Europe, nul ne s'étonnera qu'une métaphore liée aux ablutions ne soit pas née au royaume de France. C'est à nos voisins d'outre-Rhin que nous la devrions, puisqu'elle fut relevée dès 1512 dans l'œuvre du théologien catholique Thomas Murner (« das Kind mit dem Bad ausschütten »). Avant de nous parvenir, des siècles plus tard, elle aurait même fait un détour par le Royaume-Uni (« to throw the baby out with the bath water ») !

Depuis lors, l'expression ne nous a plus quittés, allant jusqu'à s'offrir le luxe, comme le signale Georges Planelles dans son ouvrage Les 1001 Expressions préférées des Français (éd. de l'Opportun), de deux significations sensiblement différentes : « perdre de vue l'essentiel » ou encore « se débarrasser sciemment de quelque chose, afin d'éviter les désagréments susceptibles d'en découler ».

Nos dictionnaires usuels, de leur côté, veulent voir dans celui qui jette le bébé avec l'eau du bain quelqu'un qui rejette tout en bloc, sans même prendre la peine d'examiner si, dans ce que l'on condamne, quelque chose ne mérite pas d'être sauvé. Une attitude qui, reconnaissons-le, n'est que trop dans l'air d'un temps prompt à tous les... débordements !

Tout cela, au demeurant, ne nous explique pas ce que ce malheureux bébé serait venu faire dans cette baignoire ni, surtout, pourquoi il risquerait de disparaître avec l'eau du bain. Nombreux sont ceux qui ont avancé que la chose avait probablement à voir avec les conditions pour le moins médiocres qui présidaient à la toilette d'autrefois. L'eau n'étant alors rien moins que courante (et pas davantage facile à chauffer), le même bain servait à toute la famille : un « Non mais à l'eau, quoi » avant la lettre ! À tout seigneur tout honneur, c'était le père qui s'y collait le premier : lui ôter le privilège de se décrasser avant tout le monde eût été le plus sûr moyen de se faire passer un savon ! Le relayaient bientôt dans la cuve commune les autres mâles de la maisonnée. Car, au contraire de ce qui se pratique dans les naufrages, les femmes et les enfants venaient moins d'abord qu'ensuite... Quant aux éventuels bébés, ils passaient, eux, bons derniers et barbotaient dans une eau que l'on devine d'une limpidité toute relative. De là à imaginer que l'on ait pu les oublier au fond de ladite cuve et s'en débarrasser par inadvertance, il n'y a qu'un pas que plus d'un lecteur sensé hésitera sans doute à franchir.

Mais, en matière d'étymologie, une hypothèse saugrenue n'est-elle pas préférable à l'aveu d'une ignorance... crasse ?