Quand Villepin nous refait le coup
des mamelles de la France...

< dimanche 18 avril 2010 >
Chronique

On ne sait s'ils sont de boucher, mais Dominique de Villepin montre ses crocs. Visitant une ferme à Vesoul, n'a-t-il pas déclaré qu'il valait mieux avoir l'œil rivé sur le cul des vaches que sur les courbes des sondages ? « Je crois, a-t-il ajouté, qu'on apprend plus, on est davantage dans la réalité humaine, dans cette pâte humaine qui constitue finalement l'essentiel de la politique. »

Propos vachards tenus d'une seule traite, de toute évidence préparés — même pour un poète, la métaphore des courbes ne s'improvise pas — et qui visent ce pilleur de Trons qu'est le président de la République. Lequel aura beau jeu, à l'heure où son propre camp semble de plus en plus impatient d'avancer l'âge de sa retraite, de dénoncer cette politique du pis. C'est qu'en ce moment une « Ferme Célébrités » qui s'installerait rue du Faubourg-Saint-Honoré refuserait du monde : Alain Juppé, aussi droit dans ses sabots que dans ses bottes, se comporte de plus en plus comme si un plein-temps à l'Élysée ne relevait plus, en ce qui le concerne, de l'emploi fictif ; François Fillon, que l'on promettait hier à l'abattoir, a repris du poil de la bête à cornes en promenant sa binette dans la France profonde des Régions ; quant à Jean-François Copé, le héraut de la fronde parlementaire, qui ignore encore qu'aux yeux du chef de l'État il passe pour un bêcheur de première ? Il importait donc que notre ancien Premier ministre rappelât qu'il avait été, il n'y a pas si longtemps, le principal conseiller de l'homme qui, rondelle de saucisson et bouteille de Corona à la main, murmurait comme personne au cul des vaches susdit.

Ce que n'avait pas prévu Néron — ainsi le surnommait Bernadette, histoire, sans doute, de rendre la monnaie de sa pièce jaune à l'instigateur d'une dissolution qui hypothéqua le premier mandat de son mari —, c'est que sa « pâte humaine », dans ce pays en proie à la dysorthographie qu'est la France, deviendrait... « patte » ! C'est le plus souvent ainsi, en tout cas, qu'on trouve le mot écrit sur la Toile. Non qu'il ait été mal prononcé par l'intéressé, mais l'on n'est plus attentif ni sensible, aujourd'hui, à ces distinguos qui évitaient hier de prendre un « a » long pour un « a » court, un « é » (fermé) pour un « è » (ouvert).

Les conséquences de ces à-peu-près ne sont rien moins qu'anecdotiques. Sur le front de la conjugaison, plus personne ou presque ne marque de nos jours la différence entre passé simple et imparfait, entre futur simple et conditionnel présent : « je mangeai » et « je mangeais  », « je mangerai » et « je mangerais » se prononcent de la même façon, avec les retombées que l'on imagine pour la clarté du message. Quant au lexique, il pâtit quotidiennement de ces confusions entre tache et tâche, entre cote et côte. Nul doute que Dominique de Villepin, qui voulait à tout coup que l'on reconnût ici sa patte — pour ne pas dire sa griffe —, n'ait vu d'un mauvais œil sa « pâte humaine » remodelée de la sorte par des médias peu soucieux d'exactitude ! À quoi sert, en effet, que le poète prenne son luth si c'est pour accoucher de vers boiteux, qui, bien loin de marcher sur trois pattes, ne le font plus que sur une seule ?

Mais, au train où vont les choses et se confondent les homonymes, on peut dire que le pire a été évité. Vous ne voyez pas que l'« homme de tête » dont le plaidoyer passionné avait naguère fait vibrer la salle du conseil de sécurité de l'ONU ait été présenté dans la presse comme un « homme de tettes » ?

Force lui aurait été, dès lors, de ne plus briguer que le maroquin de l'Agriculture ! Eu égard aux ambitions qui sont manifestement les siennes, il serait étonnant que la perspective fût de nature à lui faire boire du petit-lait !