De camouflet en camouflage,
la face cachée de nos expressions...

< dimanche 24 janvier 2010 >
Chronique

« Barack Obama essuie un camouflet dans le Massachusetts... » Y a-t-il encore quelqu'un pour se méprendre sur le sens d'une telle manchette ? On se dit, dans le meilleur des cas, que le Prix Nobel de la paix devra guerroyer pour imposer sa réforme du système de la santé, avant de passer, sans le moindre remords, à autre chose. Et pourtant... rien ne va de soi dans cette expression, pour peu que l'on s'y arrête. Qu'est-ce au juste que ce camouflet dont on parle ? Et pourquoi diable l'essuie-t-on ?

Renseignements pris, ledit camouflet serait en réalité un « chaud mouflet ». Non que, rassurez-vous, l'on ait eu l'idée saugrenue de se faire cuire un morveux, quand bien même il se serait agi d'une tête brûlée. Le chault moufflet, comme on l'écrivait au XVe siècle, était « une fumée épaisse que l'on soufflait malicieusement au nez de quelqu'un à l'aide d'un cornet de papier enflammé ». C'est que notre mouflet tire son nom du visage rebondi et joufflu qu'a justement celui qui gonfle les joues pour souffler ! Comment ce camouflet, de farce innocente qu'il était à l'origine, a-t-il pu se charger de la signification péjorative qui est la sienne aujourd'hui, jusqu'à devenir un synonyme de « vexation » et d'« affront » ? Alain Rey, dans son Dictionnaire historique de la langue française, y flaire l'influence du mot pet, mais chacun sait que ces supputations d'étymologiste sont la plupart du temps du vent ! Ce qui, en revanche, est quasiment acquis, c'est que l'on aurait tiré de l'intéressé notre camouflage, la fumée susmentionnée étant bien propre à entraîner l'idée d'une dissimulation...

Pour ce qui est du verbe essuyer, son utilisation au sens de « subir, souffrir, endurer » ne date pas d'hier. C'est Agrippa d'Aubigné, le compagnon d'armes d'Henri IV, qui, le premier, aurait fait essuyer aux soldats qui peuplaient ses poèmes le feu de l'ennemi. Depuis lors, on ne compte plus ce que l'on essuie de fâcheux, plus ou moins concrètement d'ailleurs : une tempête, des pertes, un refus, un outrage... Quant à savoir ce qui nous a fait passer du sens propre — c'est du reste le cas de le dire ! — au figuré, c'est une autre paire de manches... Alain Rey, toujours lui, nous explique opportunément que le verbe est issu du latin exsucare, littéralement « exprimer le suc ». Nul besoin d'avoir... essuyé les bancs de Normale pour comprendre comment on en est venu à « sécher ce qui est mouillé en frottant avec quelque chose qui absorbe l'humidité » ! Vous aurez vraisemblablement plus de mal à vous faire préciser le chemin qui a conduit à « subir ». Force est de reconnaître que la « figure » dont parle pudiquement le directeur du Robert a tout de la face cachée, et les ouvrages concurrents — c'est encore le cas de le dire — ne se mouillent pas davantage. Faut-il supposer, pour expliquer l'essuyage, une éclaboussure préalable ? Personne ne niera en tout cas que cette dernière fasse à la fois dans le concret et dans l'abstrait : comme pour justifier que l'on essuie les tirs ennemis, Gérard de Nerval parle des « éclaboussures de la bataille » ; quant à nos hommes politiques, ne leur arrive-t-il pas d'être éclaboussés par les affaires ?

Rien ne dit, évidemment, que ce soit là l'explication ad hoc. Mais quand tout le monde fait le mur, il faut bien que quelqu'un reste et se décide à... essuyer les plâtres !