La consultation du Grevisse...
et autres plaisirs minuscules
En ce début d'année où les vœux font florès, ne siérait-il pas, pour prévenir des déceptions par trop prévisibles, de mesurer nos souhaits à l'aune du raisonnable ? De troquer châteaux en Espagne contre préfabriqués en Flandre ? De borner nos ambitions aux seuls petits bonheurs de la vie, de peur que les grands ostensiblement ne nous boudent ?
Une enquête réalisée auprès de trois mille sujets de Sa Gracieuse Majesté vient justement d'établir le « Top 20 des meilleurs petits plaisirs de la vie ». Parmi eux, on ne s'étonnera pas de trouver en bonne place le fait de se blottir dans le canapé avec une boisson chaude puisque, on allait oublier de le préciser, ce sondage a été commandé par une société spécialisée dans la... soupe lyophilisée ! Mais, de façon plus désintéressée, il est aussi question de retrouver de l'argent dans le fond de sa poche, de s'apercevoir que l'on a perdu du poids, ou de se réveiller en pensant qu'on doit aller travailler alors que c'est dimanche !
Loin du grammairien l'idée de traiter par le mépris ces joies simples. Quoi qu'on en pense, il peut lui arriver, tout autant qu'à un autre, de « contempler les premières neiges de l'année » et d'en retirer un sentiment de profond bien-être — encore que, cette année, ça commence à bien faire ! Tout au plus s'étonnera-t-il de ne pas apercevoir au sein de ce classement la consultation du Grevisse. Est-il, on vous le demande, plaisir plus raffiné, soulagement plus intense, nirvana plus abouti que la constatation que le crime contre la langue dont vous venez tout juste de vous rendre coupable, des générations d'écrivains et de gens comme il faut l'ont perpétré bien avant vous ?
Vous n'avez pas fait suivre bien que ou quoique du subjonctif qui s'impose ? Grand seigneur, Le Bon Usage vous dégote sur-le-champ un « bien que nous fûmes attentifs » chez Anatole France, cet écrivain au patronyme si rassurant, voire — c'est sans appel, évidemment — le « quoi qu'il arrivera » d'un certain de Gaulle.
Pour la énième fois, vous vous êtes surpris à confondre près et prêt, en prédisant par exemple que l'infortunée Roselyne Bachelot, à moins de passer sa vie sur eBay, n'est pas « prête » d'écouler son stock de Tamiflu ? Là encore, SuperGrevisse vole au secours de l'opprimé que vous croyez être en vous rappelant que nos plus grands classiques, Racine et Bossuet en tête, étaient coutumiers du fait, et mêlaient allègrement l'adjectif et la locution prépositive.
À l'heure des étrennes, vous avez trouvé « excessivement » généreuse votre vieille tante, qui pourtant, compte tenu de l'état de vos finances, ne saurait à proprement parler l'être trop ? Grevisse, l'ami public n°1, a tôt fait d'appeler à la rescousse Ferdinand Brunot, lequel observe qu'excessivement « est à chaque page de Balzac, avec le sens de "très". De même chez Flaubert, de même partout. » Vous ne voudriez pas vous faire plus royaliste que ces rois de la plume ?
La honte vous étreint parce que tout à l'heure vous avez voulu voir « un » espèce de pou mort dans cet automobiliste qui ralentit votre marche triomphale vers le lieu béni de votre travail ? Mais qui êtes-vous donc, pour pousser ce pauvre espèce sur les sentes escarpées de la transsexualité ? Là encore, soufflez fort et séchez vos larmes. Séance tenante, le magicien Grevisse tire de son chapeau, sous les applaudissements d'un public ravi, « un espèce de vallon » pagnolesque, « un espèce de phtisique » mauriacien, sans que cela arrache à Bernanos autre chose, dans M. Ouine, qu'« un espèce de murmure », pas même réprobateur.
Non, vraiment, comment a-t-on pu oublier la consultation du Grevisse dans la distribution des prix ? Il est vrai que cette dernière a eu lieu outre-Manche, où la langue est moins compliquée qu'ici. Ces malheureux Anglais ne savent pas ce qu'ils perdent...