Le mot de l'été 2009 : lipothymie !

< dimanche 23 août 2009 >
Chronique

Combien se seront demandé si le « malaise lipothymique » du président, dont les médias nous ont rebattu les oreilles au début de l'été, avait un quelconque rapport, étymologiquement parlant, avec... la liposuccion ?

N'auront pas peu contribué à entretenir cette confusion les déclarations d'un entourage dénonçant plus souvent qu'à son tour la propension du chef de l'État à garder la ligne. Il se murmure que, depuis qu'il a été surpris à pagayer outre-Atlantique en compagnie de robustes poignées d'amour, Nicolas Sarkozy ambitionne d'être le plus svelte des grands — c'est évidemment là façon de parler — de ce monde : il ne consommerait plus guère que framboises et fromage blanc. On mesurera le chemin parcouru depuis l'ère Chirac : son bon vivant de prédécesseur ne crachait jamais, lui, sur une rondelle de saucisson, sur une canette de Corona encore moins, et avait des rapports avec la graisse nettement moins conflictuels. N'allait-il pas jusqu'à la vénérer chez ces sumos à qui il vouait un culte ?

N'en revenons pas moins à la question susdite : quelque séduisant que paraisse le rapprochement, le lipo de lipothymie n'a rien à voir avec celui de liposuccion. Il ne s'agit pas en l'occurrence du nom grec lipos, « graisse », que l'on retrouve dans ces corps gras que sont les lipides, ou encore dans le lipome, cette tumeur bénigne où prolifère le tissu adipeux. Mais, comme dans le lipogramme où l'on s'interdit d'user d'une lettre, du verbe — grec, toujours — leipein, qui signifie « enlever ». Littéralement donc, la lipothymie prive du thumos. Cela dit, qu'est-ce au juste que le thumos ?

Gageons que, s'il s'était trouvé un étymologiste parmi les proches conseillers du président, ce n'est pas à ce vocable-là que l'on se serait rallié. Même si, on est d'accord là-dessus, il fallait bien éviter l'accident cardiaque — lequel fait peur et évoque immanquablement les récidives — comme le malaise vagal — à l'inverse trop banal, et qui n'eût pas mérité, avec le recul, que l'on fît tout ce barouf. Mais la lipothymie, dès lors que l'on sait que le thumos était en grec le siège des sentiments, autrement dit le cœur ? Était-il convenable de donner à penser que notre président, ne fût-ce qu'un instant, pût manquer de cœur ? Pis : le thumos désignait encore, dans la langue d'Aristote, l'ardeur, le courage. Mais s'il est une chose que Nicolas Sarkozy revendique depuis son arrivée à l'Élysée, c'est précisément le courage de dire les choses qui fâchent et de s'attaquer aux réformes qui font grincer. Supposer qu'il puisse en rabattre là-dessus relève, ni plus ni moins, du crime de lèse-majesté.

Quant au dernier sens de thumos, « esprit », s'il a l'avantage de coller un peu plus à la symptomatologie — Robert parle d'abord d'une « perte de connaissance avec conservation de la respiration et de la circulation » —, il n'est pas sûr qu'il ravisse davantage l'intéressé, qui a fait communiquer tous azimuts pour aviser le bon peuple que jamais il n'y avait eu évanouissement. C'est que ces choses-là ne font pas bon effet sur un électeur qui a besoin de croire que l'on veille sur lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est vrai que la seconde définition de Robert est moins à cheval sur l'étymologie, puisqu'elle ne fait plus allusion qu'à un « état de malaise intense sans perte de conscience ». L'honneur est sauf !

Il n'empêche : le « Château » aurait bien besoin d'un linguiste à demeure pour éviter, à l'avenir, pareilles erreurs de communication. S'il en va du salut de la nation, je consens à me dévouer. Mais quelque chose me dit qu'au contraire d'un président rappelé à la prudence je peux toujours courir !