Faut-il vraiment aller à Avignon ?

À la recherche du « en » perdu...

< mardi 27 août 1996 >
Chronique

Coup de téléphone indigné d'un lecteur : combien de temps encore faudra-t-il endurer ces tournures snobinardes que sont en Arles, en Avignon, dont on fait grande consommation au royaume des médias ? Il y a longtemps, pourtant, que l'unanimité s'est faite parmi les spécialistes pour condamner ce genre de construction... Girodet parle d'affectation, Grevisse d'archaïsme. Thomas enfonce le clou en précisant que cela « ne saurait se dire que par des Provençaux et pour des villes de Provence ». Hanse lui emboîte le pas en fustigeant ce « provincialisme provençal imité à tort et sans discernement en français », surtout quand il est « appliqué abusivement à d'autres villes » : autant de pierres dans les jardins de Verlaine (en Arras) et de Georges Duhamel (en Amiens) ! Mais le plus sévère est encore Jean-Paul Colin qui, dans son Dictionnaire des difficultés du français, tolère ce provincialisme « dans un contexte archaïsant » pour mieux stigmatiser, ailleurs, son « usage abusif et ridicule ». Et l'intéressé de reproduire le verdict sans appel du grammairien Albert Dauzat : « solécisme prétentieux dont se délectent les jeunes journalistes désireux de ne pas écrire comme tout le monde » ! Fermez le ban...

On l'a compris : les expressions incriminées sont moins que jamais en odeur de sainteté, et l'on ne saurait trop conseiller de les éviter à tous ceux qui sont soucieux de ne point jouer les cuistres. Cela dit, et sans vouloir se faire l'avocat du diable, le snobisme est-il le seul responsable de cette détestable manie ? On n'osera certes invoquer pour défense le fait qu'au Moyen Âge c'est à la préposition en que l'on recourait devant un nom de lieu : il y a prescription... En revanche, notre répugnance instinctive pour tout ce qui ressemble à un hiatus a pu entrer en ligne de compte : des phrases telles que « il alla à Avignon » ne sont pas, convenons-en, des modèles d'euphonie ! Mais autant en emporte l'en : la logique grammaticale se doit ici de prévaloir contre l'oreille...