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< dimanche 14 mai 2006 >
Chronique

« Ma gueule ? Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule ? » Quand vous ne vous prénommeriez pas Jean-Philippe, telle risque d'être votre réaction en découvrant la photo appelée à orner votre nouveau passeport : c'est que, le sourire y étant désormais interdit de séjour, l'air sinistre est plus que jamais de rigueur... Au demeurant, si vos proches disent pis que... pendre de votre mine « patibulaire », ils ne croiront pas si bien parler ! Qui sait encore, en effet, que cet adjectif s'applique stricto sensu au seul gibier de potence ? Le patibulum, chez les Romains, n'était autre que la fourche sur laquelle on étendait les esclaves pour les fouetter. Les malheureux s'y trouvaient exposés, conformément au verbe latin patere, « être en évidence », qui a aussi donné naissance à notre moderne patent. Par la suite, on nommerait longtemps fourche patibulaire l'instrument de supplice qui servait à la pendaison, même si, en l'espèce, c'est le gibet qui, au propre comme au figuré, devait rapidement tenir la corde. L'étymologie de celui-là n'est d'ailleurs pas moins curieuse : certains vont jusqu'à imaginer qu'il soit apparenté à gibbosité, la courbure dudit gibet évoquant grossièrement une bosse ! Mais pour revenir à notre patibulaire, il fut bientôt, par le biais de la complaisante métonymie, accommodé à toutes les sauces. En témoigne, dès 1690, le Dictionnaire universel de Furetière, où l'on peut lire : « On dit qu'un homme a une mine patibulaire quand il a quelque chose de sinistre dans le visage qui marque de méchantes mœurs, qui menace d'une triste fin. » Le délit de sale gueule est plus ancien qu'on ne le croyait. Et combien patibulaires Nicolas Sarkozy doit trouver les faciès qui l'environnent pour déclarer, peu enclin à se montrer coulant dans ce sac de nœuds qu'est l'affaire Clearstream, vouloir pendre son corbeau à... un croc de boucher ! Cela dit, il est d'autres emplois dont l'usage s'est défait. On ne parle plus aujourd'hui, n'en déplaise à Furetière, de « rues patibulaires » mais de « zones de non-droit ». Il n'est pas sûr que la poésie y ait gagné.