CPE : l'éclairage de l'étymologie
La paille ou la poutre ?
Par ces temps de crise où il n'est de sages qu'au Conseil constitutionnel, le linguiste est le dernier que l'on songerait à consulter. Le bougre aurait pourtant des choses à dire, qui sans doute ne feraient pas avancer le Schmilblic, mais du moins offriraient à chacun ce minimum de recul qui, pour l'heure, fait si cruellement défaut. La langue de bois vous semble caractériser l'une ou l'autre partie ? Normal, dès lors qu'il est question d'embauche. Pour la plupart des étymologistes, le mot dériverait de l'ancien français bauc(h), « poutre ». Il est vrai que pour d'autres, le mot souche (si l'on ose dire en pareil cas !) serait plutôt bauche, « mortier de paille et de terre ». La paille et la poutre, tout un programme dans ce genre de conflit où l'on se montre souvent plus sensible à l'entêtement d'autrui qu'au sien propre ! Le gouvernement s'étonne – ou feint de s'étonner – que l'on se focalise sur le licenciement sans motif plutôt que sur les emplois que la mesure est censée créer ? Normal, là encore, le verbe débaucher ayant, dans notre lexique, précédé de quelque quatre cents ans celui d'embaucher ! Il ne s'agissait, au douzième siècle, que de « dégrossir » (du bois) pour en faire les poutres susdites ; puis, par extensions de sens successives, de « disperser », de « détourner (quelqu'un) de son travail, de ses obligations » : le débauché, qui s'adonne sans retenue aux plaisirs de la sexualité, n'est plus très loin ! Au sens d'« engager en vue d'un travail », embaucher ne fera son apparition qu'en 1564. Il prendra toutefois sa revanche, débaucher ne signifiant « renvoyer (un ouvrier) faute de travail » qu'au dix-neuvième siècle, et d'abord chez les seuls typographes. Mais les autres corps de métiers ne tarderont pas à... imprimer ! Il est enfin à noter que deux substantifs ne seront pas de trop pour contrebalancer la richesse sémantique de ce verbe débaucher. C'est qu'il fallut bien, pour répondre à l'embauche, créer le... débauchage, la débauche sentant par trop le soufre, même quand, loin d'évoquer la luxure, elle ne s'appliquait qu'à ces excès de table que Zola immortalisa dans l'Assommoir. Une note rassurante, tout de même, pour le pouvoir : la débauche perd de son caractère péjoratif quand, au figuré, elle traduit la profusion des efforts déployés (ne va-t-on pas ici jusqu'à s'en remettre à Sarkozy ?) pour tenter de sortir de l'impasse. À condition, bien sûr, qu'ils aboutissent...