XIe « Semaine de la langue française »
Quand le déclin fait relâche...
Quoi qu'en dise la sagesse populaire, le hasard ne fait pas toujours bien les choses. Que, parmi les dix mots sélectionnés cette année pour la Semaine (17-26 mars) de la langue française, figure en effet celui d'escale ne paraîtra pas du meilleur goût à ceux d'entre nous qui veulent oublier au plus vite la mortelle randonnée de notre Clemenceau ! C'est pourtant, tout esprit de provocation mis à part, celui que nous avons nous-même retenu pour alimenter cette rubrique. Ne constitue-t-il pas, par son étymologie même, un remarquable exemple de métonymie ? C'est que l'escale en question, tous les dictionnaires en témoignent, descend — si l'on ose dire ! — de l'échelle par le latin scala. Se trouvait en effet, à l'origine, désignée par ce nom celle qui facilitait le débarquement des marchandises et des âmes. La preuve en est que l'on a longtemps appelé échelles du Levant et de Barbarie les ports, d'Asie Mineure pour les premières, d'Afrique du Nord pour les secondes, par lesquels se faisait le commerce avec l'Europe. Ce n'est qu'ensuite, comme l'explique Henriette Walter dans L'Aventure des mots français venus d'ailleurs (Laffont), que l'on en est venu à appliquer le même vocable au lieu du débarquement !
Ouvrons ici une parenthèse pour nos lecteurs mélomanes : quand existerait bien l'expression « ténor du barreau », il semble qu'il ne faille déduire de ce qui précède aucune connivence entre lesdites échelles et l'opéra. Si le célèbre théâtre milanais, qui faisait notamment l'admiration de Stendhal, porte ce même nom de Scala, il le doit bien plutôt au fait qu'il fut édifié sur l'ancien emplacement de l'église Sainte-Marie-de-la-Scala, elle-même fondée au quatorzième siècle sous l'impulsion d'une certaine Régine de la Scala, épouse du duc de Milan. Ce qui ne dispense nullement, il va sans dire, les futures prime donne de gravir, un à un, les échelons de la gloire...
Goûtons donc sans arrière-pensée ces quelques jours dédiés à la langue française et sachons gré aux ministères de la Culture et de la Communication d'une part, des Affaires étrangères d'autre part, de lui faire, pour la circonstance, la courte échelle. Mais n'oublions pas non plus que la qualité d'un voyage ne s'est jamais mesurée à celle de ses escales et qu'il ne servirait de rien qu'à celle-ci succède une nouvelle traversée... du désert. L'échelle en question, il n'y aurait plus alors qu'à la tirer !