Après les vœux de la présidence...
Sus à l'« autoflagellation » !
Il faut reconnaître à Jacques Chirac un art consommé du contre-pied : quand chacun prédisait que les vœux lui seraient l'occasion de reprendre l'initiative après son annus horribilis, voire de se donner un salutaire... coup de fouet, voilà qu'au contraire il part en guerre contre la tendance, bien française, à l'« autoflagellation » ! Il est vrai que lui-même n'en a plus guère l'usage depuis que certains de ses courtisans, à l'instar de Nicolas Sarkozy — un authentique... fléau, au dire de ses détracteurs —, se chargent de la besogne. Cela dit, si l'intention présidentielle est louable sur le fond, elle nous semble l'être moins dans sa forme, puisque ledit vocable n'a toujours pas trouvé sa place dans nos dictionnaires. Et pour cause : flagellation s'appliquant, selon ces derniers, à l'action de flageller comme à celle de « se flageller » pour faire pénitence, le recours au préfixe auto relève de toute évidence du superfétatoire ! Il ne serait venu à l'idée de personne d'appeler « autoflagellants » les membres de cette secte religieuse qui, au quatorzième siècle, se fustigeaient en public : on se contentait de flagellants, comme le rappelle avec à-propos le Petit Robert. On ne tiendra certes pas rigueur au chef de l'État, qui est payé pour savoir combien ses propos s'exposent à être déformés, d'avoir voulu (si l'on ose dire dans ce contexte un rien sadomaso) enfoncer le clou. Mais cette « autoflagellation », dont les gazettes se sont complaisamment fait l'écho, nous paraît avoir sa place dans le grand livre des pléonasmes, redondances et autres tautologies, une des meilleures ventes, et depuis bien longtemps, de notre littérature langagière ! Elle ne fera qu'y rejoindre notre tout aussi coupable propension à écrire aujourd'hui « se faire hara-kiri ». S'agissant ici d'un suicide — qu'il serait préférable, soit dit en passant, de nommer seppuku —, on ne voit pas davantage, en effet, à quoi peut bien servir le réfléchi se. Mais ce sont là arguties de puriste, peu propres à atteindre un président qui, convenons-en, a sûrement d'autres chats à fouetter ! Il n'est pas même impossible que cette caution élyséenne incitera nos lexicographes, qui n'en sont pas à un reniement près, à accueillir dans leurs colonnes l'autoflagellation incriminée : le chef de l'État n'a-t-il pas hier contribué, à remettre à la mode l'obsolète abracadabrantesque, en quasi-disgrâce depuis plus d'un siècle ?