Ah ! qu'il est beau, le quiproquo !

Toujours... prêt ?

< mardi 7 mai 1996 >
Chronique

Point n'est besoin d'avoir un passé dans le scoutisme pour se poser ce genre de question : il suffit de voir fleurir un peu partout des phrases telles que «  Les Casques bleus ne sont pas prêts (sic) d'intervenir en Bosnie » ou « Elle n'est pas prête (sic toujours) d'oublier la catastrophe de Tchernobyl ». Combien de temps faudra-t-il encore pour que disparaisse cette hésitation, pour le moins tenace, entre près et prêt ?

L'Académie française a pourtant fait ce qu'il fallait, le 19 novembre 1964, pour sortir de l'impasse à laquelle avaient conduit des siècles d'à-peu-près (si l'on ose dire !). Elle a en effet nettement différencié les deux tournures selon leur sens. La locution prépositive près de, a-t-elle rappelé, n'exprime rien d'autre qu'une imminence temporelle : elle signifie simplement que quelque chose est sur le point de se produire. L'adjectif prêt, en revanche, qui ne peut être suivi que des prépositions à et pour, suppose une disposition, une disponibilité. Qui ne comprendrait que l'on puisse être près de mourir (sur le point de mourir) sans que l'on soit pour autant prêt (disposé) à le faire ? Une mesure tellement salutaire que, pour une fois, l'unanimité s'est faite chez les grammairiens, le franc-tireur Joseph Hanse renchérissant même sur la nécessité de « distinguer soigneusement », aujourd'hui, les deux expressions. Las ! Chacun sait qu'en la matière il ne suffit pas de légiférer... C'est que la confusion ne date pas d'hier : nos classiques, dont on ne se lasse pas de vanter le souci du mot juste, donnaient à l'adjectif prêt les deux sens susdits et le mariaient avec à comme avec de. À leur image, Victor Hugo nous parle d'une Cosette prête à défaillir quand près de défaillir eût été plus adéquat. Voilà pourquoi, la caution de ces glorieux aînés aidant, nous ne sommes sans doute pas près (!) de voir le bout du tunnel...