Est-ce la fin de notre bon vieux Caddie ?

Attentat au... plastique !

< mardi 27 juillet 2004 >
Chronique

N'ayons pas peur des mots, c'est une authentique révolution qui a lieu actuellement dans les allées, passablement encombrées, de certaines grandes surfaces. Le traditionnel Caddie s'y voit en effet lentement mais sûrement supplanter par un chariot d'un nouveau type, tout de plastique vêtu. Les avantages sont légion, tant pour l'hypermarché — deux fois plus léger que son prédécesseur en acier, ce nouvel engin permet d'emporter plus de marchandises — que pour l'acheteur, qui, s'il lui arrive encore de grincer, ne le fait plus désormais que des dents, après son passage à la caisse. L'esthétique, au dire des usagers, n'y perdrait pas non plus : les lignes profilées du « véhicule » d'aujourd'hui donneraient même un sacré coup de vieux à celui qui, depuis quarante ans, régnait en maître incontesté sur le (super)marché. On attend avec intérêt la réaction de la firme Caddie qui, pour être alsacienne, ne se retrouverait pas sans biscuit : une version en plastique serait, chez elle aussi, à l'étude. La morale de cette histoire, c'est qu'il est en France plus aisé de changer les choses que la façon dont elles s'écrivent. Voilà des siècles, en effet, que le chariot roule pour lui seul et fait ostensiblement bande à part au sein d'une famille qui ne manque pourtant pas d'r : charrette, charretée, charretier, charroi, charron, charrue, carriole, carrosse, etc. L'Académie a eu beau plaider pour un retour à la cohérence, en 1975 (avant de se raviser, il est vrai, en 1987) ; le Conseil supérieur de la langue française revenir à la charge en 1990, rien n'y a fait. L'usage reste sourd, comme d'ailleurs les dictionnaires, dont la hardiesse, pour certains, ne va pas au-delà d'une mention en fin d'article : " On écrirait mieux charriot ». Voilà qui corrobore les propos de notre confrère Claude Weill, lequel écrivait naguère dans le Nouvel Observateur : « Ce que [le Français] aime dans la règle, c'est l'exception (il n'y a pas de loi en France qui ne souffre d'exceptions ; on n'a jamais créé un impôt sans prévoir en même temps les exemptions). L'orthographe, avec son cortège d'aberrations, satisfait son goût de la loi et de la transgression. Son sens de la logique et du paradoxe. [...] Illogique, le r unique de chariot ? Raison de plus pour le respecter. » Bref, ce chariot-là, en plastique ou en métal, a encore de beaux jours devant lui !