Michel Serres invité d'Action Culture

Ni stress ni paillettes

< mardi 14 décembre 1999 >
Chronique

La scène se déroule au Kino de Villeneuve-d'Ascq. À l'invitation d'Action Culture, le dynamique service culturel de l'université de Lille 3, et de son directeur Patrick Houque, Michel Serres y est venu parler de son récent ouvrage sur le corps. Nous sommes là en curieux, beaucoup plus qu'en chroniqueur. Et voilà qu'au détour d'une de ces questions que lui pose la nombreuse assistance (la culture fait encore recette à Lille 3), le philosophe s'étonne que son interlocuteur use du mot stress. Ne disposons-nous pas, dans notre propre langue, de celui, ô combien plus évocateur — plus conforme, surtout, au sens originel —, de détresse ? Nous manquons d'applaudir. Comme tant d'autres termes auxquels nous décernons un peu vite un brevet d'authenticité anglo-saxonne (challenge, tennis, etc.), ce stress — forme abrégée de distress — doit tout, en effet, à un mot d'ancien français, destrece, lequel évoquait l'étroitesse, la constriction. Bref, cet angor auquel prédispose, on ne le sait que trop, ledit stress ! Et c'est alors que, d'un coup, nous apparaît ce qui, jusque-là, nous avait inexplicablement échappé : ce penseur que l'on aurait pu croire obnubilé par les idées n'en est pas moins attentif à la forme. Dans son discours, rien qui pèse ou qui pose. Nulle trace de ce jargon dont Molière, déjà, faisait l'alibi du faux savoir ; de ces paillettes du langage, ornements dérisoires d'une pensée qui, en réalité, doute d'elle-même. Michel Serres dit des choses profondes, voire compliquées, avec les mots de tous les jours. Et c'est l'auditeur qui, à tort ou à raison, se découvre alors intelligent ! Nous songeons à une phrase de Druon : « À défaut de maîtriser un grand style, l'élégance du langage est dans la simplicité. » Un peu, aussi, à Claude Allègre, qui a récemment confié à notre confrère France-Soir son intention de s'attaquer au galimatias des linguistes et des « docteurs de l'éducation ». S'il tient ses promesses, et que grâce à lui les actants redeviennent personnages, le schéma actanciel histoire, et les acquis cognitifs simples connaissances, il ne fera pas peu pour améliorer sa cote auprès de bon nombre d'enseignants...