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VII

Lève-toi et marche

Illustration par Bernard Verquère
Se met alors en branle un piteux attelage...
Bernard Verquère

Le panorama ne serait pas complet si on n’y incluait les exercices de rééducation. Le surlendemain de l’opération, alors que votre mari baigne encore dans une torpeur ouatée, deux infirmières musclées s’introduisent dans la chambre et, sans autre précaution oratoire, lui ordonnent de se lever. D’abord, ledit mari ne réagit pas : il est bien trop occupé à mobiliser ce qu’il lui reste de matière grise dans le dessein d’établir si, oui ou non, la date du jour a un quelconque rapport avec le 1er avril. L’impossible de la chose s’imposant finalement à son esprit, l’opéré esquisse un vague sourire : encore une erreur ! On ne va sûrement pas tarder à s’apercevoir que cette idée baroque est en réalité destinée au convalescent de la chambre voisine.

Las ! l’avalanche de bonnes raisons scientifiques qui s’abat sans crier gare sur votre époux — prévention de la phlébite, remise en route de la fonction intestinale, etc. — a tôt fait de convaincre celui-ci qu’il ne s’agit ni d’une plaisanterie ni d’un malentendu. La réalité n’en est pas pour cela moins amère : le malade, qui a déjà toutes les peines du monde à effectuer un quart de tour sur lui-même lorsque ce dernier s’avère indispensable à la survie de ses vertèbres, n’hésite pas à assimiler ce qui est exigé de lui au treizième travail d’Hercule. Mais il a beau souligner que sa cicatrice lui interdit de se redresser complètement, qu’il devra traîner une ribambelle de tuyaux et qu’il est actuellement sous perfusion, aucun argument ne trouve grâce aux yeux des bourreaux : en un tournemain, votre malade se voit contraint de chausser les pantoufles et de mettre pied à terre. Terre est d’ailleurs un bien grand mot car les vagues auxquelles Monsieur doit immédiatement faire face font plutôt penser à une mer démontée qu’au plancher des vaches. Pour la première fois, le téléviseur a l’air de tourner rond ; c’est d’ailleurs la chambre tout entière, vous y comprise, qui plagie Weber en solfiant L’Invitation à la valse. Les infirmières ne se laissent pas détourner de leur ambitieux projet pour autant : c’est de marche qu’il est question. En moins de temps qu’il n’en faut à votre mari pour chanceler, elles ont décroché le bocal de glucose, ramassé tous les tuyaux qui traînaient dans la chambre et invité le malade à prendre appui sur la table roulante. Se met alors en branle un piteux attelage qui tient davantage du robot de science-fiction que de l’homo sapiens. La tenue de route laisse d’ailleurs à désirer : plutôt que d’avoir à choisir entre les quatre portes qui semblaient s’ouvrir sur l’extérieur, le malade a préféré fermer les yeux et s’en remettre à Dieu. Une foi relativement bien placée puisqu’il s’est retrouvé, sans trop savoir comment, dans le couloir. Les jambes suivent plus qu’elles ne portent. Au beau milieu de son hébétude, votre époux s’entend dire que, pour une première sortie, il convient de ne point se montrer présomptueux et qu’une promenade jusqu’aux abords de l’ascenseur suffira amplement. Vingt-cinq mètres, tout au plus. Mais un véritable cauchemar pour le principal intéressé, à qui cette sinistre balade apparaîtra bien plus terrifiante que l’ascension de l’Annapurna.

Une consolation, toutefois, à cette excursion forcée : votre mari, après avoir réintégré son lit de douleur, ne songera plus guère à remettre en question le moelleux du matelas et sombrera presque aussitôt dans un sommeil réparateur. C’est toujours ça de gagné !

 
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